vomir

Me réjouir ? Vomir ?

Witold Gombrowicz, Cosmos, Denoël, p. 96.

David Farreny, 15 fév. 2004
indécidabilité

Émancipée du grand héritage tragique, comique et romanesque, la pensée ne sait plus problématiser la vie. Elle ne sait plus en éclairer les contradictions, en explorer les paradoxes, en suivre les tortuosités, en capter les nuances. Elle ne sait plus faire droit à l’ambiguïté des êtres ni à l’indécidabilité des comportements. Spectaculairement ouverte aux différences, mais définitivement fermée aux apories, elle n’est capable, la malheureuse, que de brandir triomphalement la solution du problème humain.

Alain Finkielkraut, L’ingratitude, Gallimard, pp. 200-201.

David Farreny, 6 juin 2004
délibérer

Ce que je veux dire, c’est qu’ils étaient hommes, et femmes, à délibérer en compagnie de la douleur, à la tenir, comme le reste, en respect.

Pierre Bergounioux, Miette, Gallimard, p. 29.

Élisabeth Mazeron, 6 oct. 2004
lourd

Prête-moi ton grand bruit, ta grande allure si douce,

Ton glissement nocturne à travers l’Europe illuminée,

Ô train de luxe ! et l’angoissante musique

Qui bruit le long de tes couloirs de cuir doré,

Tandis que derrière les portes laquées, aux loquets de cuivre lourd,

Dorment les millionnaires.

Valery Larbaud, « Poésies de A.O. Barnabooth », Œuvres, Gallimard, p. 44.

David Farreny, 1er avr. 2007
mutilés

Le bouleversement de l’émotion était passé à l’allure d’un train rapide sur ceux qui étaient restés, et qui gisaient recroquevillés entre les bancs polis comme des mutilés entre les rails.

Rainer Maria Rilke, Au fil de la vie, Gallimard, p. 51.

Élisabeth Mazeron, 17 janv. 2008
interroger

Quand je n’ai pas dormi, je pose des questions à tort et à travers. J’en poserais indéfiniment : ne pas dormir c’est interroger ; si on connaissait la réponse, on dormirait.

Franz Kafka, Lettres à Milena, Gallimard, p. 139.

David Farreny, 4 mars 2008
verts

Quand il n’y a pas de mouvement dans les verts, la lumière claque plus fort sur le mur blanc.

Antoine Émaz, Lichen, encore, Rehauts, p. 24.

Cécile Carret, 4 mars 2010
vie

Ainsi s’approche-t-on de la monstrueuse utopie que j’ai toujours en frémissant caressée, un journal qui serait la vie, la remplirait tout entière, se substituerait à elle. Les lignes sont la couleur même du temps, la vie est l’écriture même, biographie, graphobie. Ce n’est plus de la littérature que relève l’entreprise, à supposer qu’elle y ait appartenu jamais ; à moins que la littérature n’ait précisément cette fin, et ne soit justement cela, cette impérialiste totalité qui tend au monde un miroir sans tain, qu’elle emplit tout entière ; non par la beauté de ses phrases, mais par le seul effet de leur masse.

Un lecteur ? Mais lui-même et tout son temps seraient happés par l’absurde projet de lire ces pages. Son existence ne coïnciderait plus qu’avec ce papier ; sauf s’il n’observait, de ces phrases, que leur accumulation en cahiers, en volumes, et s’il avait le moyen de s’assurer, par le biais d’un index, qu’elles ne sont pas méandres abstraits de la plume et de l’encre, mais que des sens les ont bien habitées, que des colères, des coïncidences et des joies les ont dictées, qu’elles ont prétendu, sans trop y croire, refléter des heures, des humeurs, des villes, de vagues opinions, des états de ciel et de l’âme. Le monde ? Allons donc ! Une table, une fenêtre, une table près d’une fenêtre, et la vue, les vues.

Renaud Camus, « mardi 26 mai 1987 », Vigiles. Journal 1987, P.O.L., pp. 232-233.

David Farreny, 5 nov. 2010
glorieux

Tandis qu’il lisait, une voix lui cria : « Pane ». Un gamin des rues loqueteux, crasseux, se tenait devant sa table, un môme de quatre ans, pieds nus, et désignait la corbeille à pâtisseries d’un air fort résolu. Esti lui donna un petit pain. Mais le garçonnet ne s’en alla pas. « Un altro », cria-t-il à nouveau. « Che cosa ? » demanda Esti. « Un altro pane, dit le garçon, due », et il montra, levant deux doigts en l’air, comme c’était l’usage ici, qu’il n’en voulait pas un, mais deux – per la mamma – et elle aussi, il la montra, sa maman qui se tenait à quelques pas de lui sur la chaussée comme sur une scène, démonstrative et émouvante, comme dans un mélo à vous tirer des larmes, et pourtant sublime. C’était une maman toute jeune, malmenée par la vie, pieds nus elle aussi, en chemise, sans corsage ; elle n’avait qu’une jupe crasseuse qui flottait sur elle, elle était dépeignée, et son teint était olivâtre comme on en voit dans les Abruzzes. Ses yeux sombres flamboyaient. Elle et son marmot, bien droits et sans se courber, observaient ce que le straniero allait faire. Esti tendit au garçonnet un autre petit pain. Celui-ci s’en alla plus loin avec sa mère, sa mamma, qu’il devait tellement aimer. Aucun des deux ne le remercia de sa gentillesse.

Cela plut indiciblement à Esti. Voilà, se dit-il, ceux-là ne mendient pas, ceux-là exigent. C’est un peuple ancien et libre, glorieux même dans sa misère. Il est toujours assis à la table de sa vie. Il sait que la vie est à lui, et le pain aussi. Il faudrait que je reste longtemps ici. Cette sensibilité, cette sincérité, ce soleil radieux qui illumine tout, cette forme légère derrière laquelle peut se cacher un fond insoupçonné, m’intriguent. Les liens du sang ne peuvent pas être aussi forts que mon attirance pour ces gens. Il n’y a qu’eux qui puissent me guérir de ma sensiblerie fumeuse.

Dezsö Kosztolányi, Kornél Esti, Cambourakis, p. 74.

Cécile Carret, 27 août 2012
comprend

La femme : « Aujourd’hui je suis allée en ville avec Stéphane. Il ne me comprend pas, les banques, les stations-service, les stations de métro, il trouve ça magnifique. »

L’éditeur : « Peut-être y a-t-il là-dedans une beauté nouvelle que nous ne pouvons simplement pas encore voir. »

Peter Handke, La femme gauchère, Gallimard, p. 61.

Cécile Carret, 26 juin 2013
non-conformiste

Holberg disait déjà (Lettres, t. V, lettre I) : ce n’est point la volonté mais le corps qui fait de moi un non-conformiste.

Georg Christoph Lichtenberg, Le miroir de l’âme, Corti, p. 192.

David Farreny, 5 déc. 2014
affabulations

Parce que nous possédons une faculté de contempler les choses de la nature et les faits qui se produisent ici-bas, nous nous piquons d’en saisir le pourquoi et le pour quoi. En réalité, nous ne saisissons, ou croyons saisir, que ce qui se trouve à portée de notre raison — autant dire bien peu. Celle-ci, en soi, n’est pas en cause. Quand elle examine froidement ses propres capacités, elle en mesure bien les limites. Mais comme elle est d’ordinaire la servante soumise de notre naïf et prétentieux désir de comprendre, elle outrepasse ses faibles forces et, très vite dépassée, elle passe le relais à l’imagination toujours habile, quant à elle, à faire passer ses affabulations pour des vérités.

Frédéric Schiffter, « Le prophète de l'à-quoi-bon (Sur l'Ecclésiaste) », Le charme des penseurs tristes, Flammarion.

David Farreny, 4 mai 2024

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