Straszewicz

L’humour bouleverse et renverse tout sens dessus dessous, à tel point qu’un humoriste-né ne se borne jamais à être ce qu’il est et ce qu’il n’est pas. La plume brillante de Straszewicz, c’est la plume réfractaire de Gogol — par elle Straszewicz devient un anti-Straszewicz, thèse et antithèse dont la synthèse nous fournit un super-Straszewicz : un Straszewicz qui tout en demeurant encore Straszewicz devance le Straszewicz d’un pas allègre.

Witold Gombrowicz, Journal (1), Gallimard, p. 224.

David Farreny, 24 mars 2002
dormir

Il n’est pas aujourd’hui, dans la commune, un habitant sur dix pour y avoir vu le jour. Cette banlieue n’est plus offerte qu’au sommeil. On s’y presse de très loin pour y dormir la vie.

Renaud Camus, L’élégie de Chamalières, P.O.L., p. 66.

David Farreny, 7 juin 2003
restaurer

La vie est ainsi faite que, pour la supporter, il faut de temps en temps la déposer, reprendre un peu haleine, et comme se restaurer d’un léger avant-goût de la mort.

Giacomo Leopardi, « Cantique du coq sauvage », Petites œuvres morales, Allia, p. 177.

David Farreny, 9 nov. 2005
aimer

N’oubliez jamais que je suis à la solitude, que je ne dois avoir besoin de personne, que même toute ma force naît de ce détachement, et je vous assure, Mimi, je supplie ceux qui m’aiment d’aimer ma solitude, sans cela je devrai me cacher même à leurs yeux, à leurs mains comme un animal sauvage se cache à la poursuite de ses ennemis.

Rainer Maria Rilke, « 11 mai 1910 », Lettres à une amie vénitienne, Gallimard, p. 64.

David Farreny, 30 janv. 2007
autorité

Toute autorité suppose l’assentiment de ceux qui la subissent, même si elle ne repose pas sur la démocratie. « Je suis leur chef, il faut bien que je les suive », disait un officier français, se faisant inconsciemment l’écho de Burke : « Ceux qui prétendent mener doivent, dans une large mesure, suivre. Ils doivent conformer leurs propositions au goût, au talent et au caractère de ceux qu’ils veulent commander. » Un ambassadeur français s’extasiait devant l’aisance avec laquelle Catherine la Grande se faisait obéir. Elle rit : « Je me renseigne pour savoir ce qu’ils ont envie de faire, et ensuite je le leur ordonne. »

Vladimir Volkoff, Pourquoi je suis moyennement démocrate, Le Rocher, p. 86.

David Farreny, 5 mars 2007
remuement

On a parfois le sentiment que le Castor entre dans l’action, l’engagement, la vie politique, avec d’autant plus d’ardeur qu’elle y trouve là une façon de n’être pas seule, de surmonter les tourments que causent le passage du temps, l’approche de la vieillesse, la peur de voir mourir Sartre. Dans la compagnie de Sartre, ou de leur amis des Temps modernes, et plus généralement, en sentant sous ses pieds le grand remuement de l’Histoire, elle prend pour quelque temps son parti de la fin qui guette toutes nos entreprises. On est là dans l’ordre des « vérités pratiques » (les vérités qui guident la « praxis »), ce qui soulage un temps de la charge d’exister et de penser l’existence. Vie politique, vie dangereuse : mais sans les méandres et les froids désespoirs de la vie affective. Car les Mémoires sont ainsi ponctués par ce rappel et cette insidieuse admonition : il faut supporter parce qu’on n’a plus assez d’énergie pour désespérer.

Danièle Sallenave, Castor de guerre, Gallimard, pp. 467-468.

Élisabeth Mazeron, 9 juin 2009
plâtre

Même impression cent fois ressentie à l’instant de la prise de parole : un vide, un dédoublement. Je m’entends ne rien dire de ce que je voulais dire. J’entends parfaitement, clairs, et même trompettants, les mots à côté de ceux qui étaient appelés. J’entends ce chaos de phrases encore liquides prendre aussitôt : le plâtre de mon opinion.

Gérard Pesson, « mercredi 29 avril 1998 », Cran d’arrêt du beau temps. Journal 1991-1998, Van Dieren, p. 295.

David Farreny, 27 mars 2010
dans

Mais, pour l’individu, la nature inorganique devient une nature présupposée, trouvée là ; et c’est en cela que consiste la finitude du vivant. L’individu est pour lui-même face à cette nature, mais de telle manière que cette connexion de tous les deux est, sans réserve, une connexion absolue, indissociable, intérieure, essentielle, car l’être organique a cette négativité dans lui-même.

Georg Wilhelm Friedrich Hegel, « Des manières de considérer la nature (additions) », Encyclopédie des sciences philosophiques, II. Philosophie de la nature, Vrin, p. 667.

David Farreny, 23 mai 2011
secret

Il y a… notre corps, pile, usine, dont nous ne pouvons prévoir ni les décisions ni les choix. Nous transbahutons un secret absolu, et qui s’en croit maître mourra par intérim. J’entends, vivra de même.

Georges Perros, Papiers collés (3), Gallimard, p. 104.

David Farreny, 24 mars 2012
approche

Des lapins mystérieux qui filent en fusée dans les taillis brumeux annoncent l’approche du soir et la forêt allemande.

Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 41.

Cécile Carret, 18 juin 2012
perpétrer

Et ces deux qui glissent comme des voleurs ? Qui gagnent sur la pointe des pieds la pénombre de leur chambre à coucher ? Pourquoi des gestes si furtifs ? Pourquoi cette honte ? Ces secrets ? Pourquoi, en résumé, a-t-on pris l’habitude d’aller se cacher pour baiser ? Quand on a la conscience tranquille, on ne cherche pas à se dissimuler… Il doit y avoir autre chose. D’autres causes, une autre raison… Reprenons Schopenhauer : si les amants, nous dit-il, semblent gênés de ce qu’ils vont faire, s’ils sont en effet honteux, ce n’est pas tant, comme on le croit, à cause des pauvres cochonneries auxquelles ils vont se livrer dans le noir, que parce qu’ils s’apprêtent malgré eux à perpétrer un mauvais coup, voilà pourquoi ils n’ont pas la conscience tranquille…

Etc., etc. Le péché ne serait donc pas dans l’acte lui-même mais dans sa conséquence reproductrice ? Et tout le monde le saurait sans vouloir le reconnaître ? La culpabilité, les sentiments d’angoisse, proviendraient de la transgression d’une injonction morale, certes, mais pas du tout celle qu’on croit ? Et par conséquent il n’y aurait pas d’acte plus élevé, plus moral, que celui consistant à s’abstenir de se prolonger ? D’où s’expliqueraient aussi les tentatives acharnées à travers les siècles pour essayer de prouver le contraire en pénalisant l’acte lui-même afin de resanctifier ses effets ?

Etc., etc.

Philippe Muray, Postérité, Grasset, pp. 407-408.

David Farreny, 6 déc. 2012
arrangement

Une irrépressible angoisse devant chaque arrangement de l’existence que je rencontre chez d’autres, qu’ils aient choisi une carrière ou une vie en marge et en retrait : comment peuvent-ils vivre ainsi… comment peuvent-ils vivre ?

Petr Král, Cahiers de Paris, Flammarion, p. 45.

David Farreny, 29 mars 2013
mathématiques

J’ai gardé de cette expérience une défiance certainement aussi injuste que ma haine enfantine envers l’Oulipo, comme si les petites mécaniques savantes de ces écrivains ingénieurs et mathématiciens avaient la prétention de mettre la littérature en coupe réglée. Je ne peux admettre cette alliance contre-nature, elle me révulse. Trahison ! C’est remettre les clés de la ville à l’ennemi qui encercle nos murs. C’est appareiller de prothèses métalliques notre corps élastique, c’est canaliser le fleuve sauvage au moyen de logiques conçues pour déterminer la durée de remplissage des baignoires, c’est contraindre la pensée enfin et juguler sa féconde digression.

Il existe pourtant une ivresse des mathématiques, me dit-on, une extase, une beauté pure, absolue, affranchie des contingences. Un nombre d’or ! Certains tableaux noirs couverts de chiffres seraient des tableaux de maître.

C’est possible.

Mais ne me laissez jamais entrer dans ce musée avec une éponge humide !

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 165.

Cécile Carret, 9 mars 2014
rames

Nombre de librairies, dans l’espoir de survivre à la crise, ouvrent un rayon papeterie, stratégie suicidaire, me semble-t-il, puisque tous ces carnets, ces cahiers et ces rames de feuilles leur reviendront bientôt sous la forme de livres invendables.

Éric Chevillard, « lundi 7 juillet 2014 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 7 juil. 2014

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