Ce sont des phrases, effectivement. Il n’y a pas de pensées, je cours après des unités sonores, des phrases que j’ai pensées qu’il serait bien d’avoir pour cibles. Le texte se déroule vers ces chutes comme vers des cibles.
Pierre Michon, entretien avec Marianne Alphant au centre Georges-Pompidou, 28 mars 1996.
La discipline, c’est d’aimer ce qu’on aime.
Georges Perros, Papiers collés (1), Gallimard, p. 65.
Je vois mon cortex.
Georges Perec, « Rêve n° 64 : l’os », La boutique obscure, Denoël.
Nous portons toute la misère du monde
les pires injustices toutes les
atrocités sont en nous
elles sont au monde parce qu’elles
sont en nous et je ne comprends
pas que cela constitue
un sujet d’étonnement
Jean-Pierre Georges, Je m’ennuie sur terre, Le Dé bleu, p. 57.
Paresse : rêve sans fin qui rêve indérangée
la vie, parenthèse fluide
Alentour, projets, plans, départs,
Des édifices tombent, montent, remontent,
Paresse rêve
sur son puits qui s’approfondit
Henri Michaux, « Déplacements, dégagements », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 1320.
Une poche me brasse. Pas de fond. Pas de portes, et moi comme un long boa égaré. J’ai perdu même mes ennemis.
Oh espace, espace abstrait.
Calme, calme qui roule des trains. Calme monumentalement vide. Plus de pointe. Quille poussée. Quille bercée.
Évanoui à la terre…
Henri Michaux, « Face aux verrous », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 490.
Je ne sais plus ce que c’est que le temps libre ni la paix. Toujours une grande voix sévère me rappelle combien je suis ignorant et que je vais mourir, qu’il ferait beau voir que je sois un instant sans chercher à comprendre ce qui s’est passé avant que tout finisse. Le tribunal siège en permanence.
Pierre Bergounioux, « lundi 28 janvier 1985 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 372.
Cette différence de rythme dans l’évolution, entre les significations et les êtres, est éminemment prévisible — on pourrait même dire fatale — aux moments charnières de l’Histoire, lorsqu’une civilisation s’épuise, et qu’une autre est en train de naître. Ce qui meurt n’est pas forcément une perte. Mais trop bien le connaître, et l’aimer, pour la seule raison que ce fut, que nous avons vécu en son sein, et pensé, et senti, et frémi, et que cela va disparaître, il y a là une faiblesse qui prépare mal à l’ère nouvelle.
Renaud Camus, Du sens, P.O.L., p. 137.
Le désir, un bien grand mot, c’est l’envie qui manque.
Jean-Pierre Georges, L’éphémère dure toujours, Tarabuste, p. 24.
— Tu travailles ?
— Tu le vois bien.
— Je vois que tu ne fais rien.
— Tu ne peux pas comprendre.
Dezsö Kosztolányi, Portraits, La Baconnière, p. 168.
C’est que le désir de reconnaissance de l’écrivain passe paradoxalement par l’escamotage de sa personne. Il entend disparaître d’abord, se défaire de tout ce dont il a hérité, de tout ce qui n’est pas lui – ou plutôt : de tout ce qui n’est pas de lui –, il nourrit l’ambition de se refaire à neuf, de tout recommencer sur la page : en tisonnant ce papier sur ses cendres, de brûler d’un feu nouveau.
Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 76.
Chacun devrait étudier la philosophie et les humanités autant qu’il suffit à se rendre la volupté davantage agréable. Si nos hobereaux, nos chevaliers de cour, nos comtes et d’autres encore en faisaient leur miel, ils s’étonneraient souvent de l’effet qu’a un livre. Ils croiraient à peine que Wieland rehausse le champagne, que sa riche couleur rosée, son voile d’argent et sa vapeur étoffée eux-mêmes sublimeraient le plaisir qu’offre une paysanne bonne et souple.
Georg Christoph Lichtenberg, Le miroir de l’âme, Corti, p. 133.
De Joinville à la Bastille, je bourlinguais au premier étage de ces vieux wagons de chemin de fer de Vincennes, si bien faits pour émouvoir les poètes, souvent férus d’ancienneté en raison, je pense, de cette pesanteur rétroactive qu’elle atteste et grâce à quoi le terminus de l’existence semble plus long à venir.