fixations

On se découvre alors des fixations farouches. Des choses ridicules — mes lunettes de lecture, un mouchoir, un certain instrument pour écrire — polarisèrent ma possessivité démente. Égarer provisoirement l’un d’eux me remplissait d’un désarroi frénétique, chacun de ces objets étant le rappel tactile d’un monde voué à bientôt s’effacer.

William Styron, Face aux ténèbres. Chronique d’une folie, Gallimard, p. 91.

Guillaume Colnot, 15 mai 2002
pauvres

Tu viens de me rejoindre. Tu es là. Je t’aime. Tu m’apportes quelques beignets dans une assiette. Du cidre. On parle un peu. On a le temps aujourd’hui. Qui pourrait venir ? Et moi je n’ai pas à m’absenter…

Te regarder.

T’écouter.

C’est tout.

Tu vois : nous sommes pauvres.

Thierry Metz, Le journal d’un manœuvre, Gallimard, p. 107.

David Farreny, 3 août 2004
éternité

La régression temporelle ne peut que nous révéler une éternité antérieure dont absolument rien n’a pu être absent ; car nous ne pouvons pas concevoir que l’éternité qui nous suivra puisse réaliser quoi que ce soit de plus que la première.

Emil Cioran, « Maurice Maeterlinck », Solitude et destin, Gallimard, p. 265.

David Farreny, 24 juin 2005
passerelles

Or la puissance du désir est telle, et les ressources de l’imagination qui la soutiennent sont si considérables que quatre ou cinq mois d’une attente ainsi nourrie étaient aussi riches, aussi pleins de sentiments variés que si celui qui m’occupait l’esprit avait effectivement partagé ma vie pendant cette période. Voilà pourquoi celui qui attend longtemps ne se décourage pas. Sans qu’il soit fou, sans qu’il confonde ses rêves avec la réalité, son obsession leur donne une consistance qui en fait des passerelles solides entre les événements réellement vécus, tandis que bien souvent ce sont ces événements qui, par leur brièveté, ou par la déception qu’ils causent, pourraient n’avoir été que rêvés.

Catherine Millet, Jour de souffrance, Flammarion, pp. 68-69.

Élisabeth Mazeron, 12 mars 2009
nid

Je marchai donc droit sur ma brunette : sa tête allait juste à ma poitrine. Un épais nid de cheveux, dans lequel on pouvait cacher des diamants (ou des clés ! L’idée l’enthousiasma tout de suite !). La quarantaine : ça allait aussi. Nous nous sommes regardés pendant un certain temps.

Arno Schmidt, « Échange de clés », Histoires, Tristram, p. 72.

Cécile Carret, 22 nov. 2009
méta-scène

La scène est comme la Phrase : structuralement, rien n’oblige à l’arrêter ; aucune contrainte interne ne l’épuise, parce que, comme dans la Phrase, une fois le noyau donné (le fait, la décision), les expansions sont infiniment reconductibles. Seule peut interrompre la scène quelque circonstance extérieure à sa structure : la fatigue des deux partenaires (la fatigue d’un seul n’y suffirait pas), l’arrivée d’un étranger (dans Werther, c’est Albert), ou encore la substitution brusque du désir à l’agression. Sauf à profiter de ces accidents, nul partenaire n’a le pouvoir d’enrayer une scène. De quels moyens pourrais-je disposer ? Le silence. Il ne ferait qu’aviver le vouloir de la scène ; je suis donc entraîné à répondre pour éponger, adoucir. Le raisonnement ? Aucun n’est d’un métal si pur qu’il laisse l’autre sans voix. L’analyse de la scène elle-même ? Passer de la scène à la méta-scène n’est jamais qu’ouvrir une autre scène. La fuite ? C’est le signe d’une défection acquise : le couple est déjà défait : comme l’amour, la scène est toujours réciproque. La scène est donc interminable, comme le langage : elle est le langage lui-même, saisi dans son infini, cette «  adoration perpétuelle  » qui fait que, depuis que l’homme existe, ça ne cesse de parler.

Roland Barthes, « scène », Fragments d’un discours amoureux, Seuil, pp. 245-246.

Élisabeth Mazeron, 25 janv. 2010
on

On s’étonne aussitôt que Marconi soit parvenu à ses fins par des moyens si simples. On s’interroge sur lui. On ignore qu’il n’a fait qu’user habilement d’un des brevets, le n° 645.576, déposé par Gregor quelques années plus tôt mais insuffisamment protégé. On n’a pas le moyen de savoir que ce brevet a été anonymement posté à Marconi. Le saurait-on qu’on pourrait se demander, en étudiant l’adresse manuscrite sur l’enveloppe qui le contenait, si ne s’y distingueraient pas des points communs avec l’écriture d’Angus Napier. Même si, quarante-deux ans plus tard, la Cour suprême reconnaîtra l’antériorité des travaux de Gregor en matière de transmission radio, en attendant, quarante-deux ans plus tôt, c’est encore un sale coup pour lui.

Jean Echenoz, Des éclairs, Minuit, p. 121.

Cécile Carret, 11 oct. 2010
doute

J’entraîne Mam en promenade, par la rue Basse, le boulevard du Salan, la rue Blaise-Raynal. Partout veillent les souvenirs, les premiers, ceux, miraculeux, de l’enfance, lorsque le tragique de la vie, la désespérance et la douleur nous sont épargnés. Ce sont les parties hautes des façades, vers lesquelles on lève rarement les yeux, qui conservent et me rappellent les jours abolis, le temps magique et bref où j’ai vécu au présent, le bonheur qu’il y avait à être avant qu’un doute affreux ne me vienne, qui ne m’a plus quitté. Mam marche à petits pas glissés, parle, sans se soucier de savoir si je peux l’entendre, du passé, de ses grands-parents. Depuis quatre ans, elle a déserté le présent. Et j’en suis là, aussi. Tout mon bonheur était dans l’espérance et il n’est plus temps.

Pierre Bergounioux, « jeudi 1er novembre 2007 », Carnet de notes (2001-2010), Verdier, p. 803.

David Farreny, 15 fév. 2012
but

Mon but ? Il m’atteindra tôt ou tard.

Jean-Luc Sarré, Ainsi les jours, Le Bruit du temps, p. 46.

David Farreny, 8 oct. 2014

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