Ne comptez pas sur moi
Je ne reviendrai jamais
Je siège déjà là-haut
parmi les Élus
Près des astres froids.
Ce que je quitte n’a pas de nom
Ce qui m’attend n’en a pas non plus
Du sombre au sombre j’ai fait
un chemin de pèlerin.
Je m’éloigne totalement sans voix
Le vécu mille et mille fois m’a brisé, vaincu.
Moi le fils des Rois.
André Laude, « dernier poème », Œuvre poétique, La Différence, p. 725.
Les promenades dans une ville souffrent de cette imperfection que Proust attribue au présent.
Michel Besnier, Cherbourg, Champ Vallon, p. 11.
Plus tard nous est venue cette susceptibilité d’épiderme qui rend blessantes la pierre, l’avoine et la pluie et dont l’esprit, l’âme, la chose pensante — peu importe le nom — pourrait n’être après tout que l’exaspération hypostasiée.
Pierre Bergounioux, Points cardinaux, Fata Morgana, p. 40.
Marbœuf n’a pas encore quarante ans. Il est à la moitié de sa vie et a déjà imposé l’idée qu’il ne faudrait attendre aucun livre de lui.
Jean-Yves Jouannais, Artistes sans œuvres, Hazan, p. 65.
J’oscillais dans l’immense main. Il a dû s’écouler du temps puisque j’oscillais, mais c’était un temps différent, interstitiel, sans image, sans terme ultérieur pour lui donner la pente, même légère, la vibration, le volettement insaisissables à quoi l’on reconnaît le temps.
Pierre Bergounioux, La maison rose, Gallimard, p. 121.
Cependant marcher dans la rue me fait du bien, je suis moins triste. Peut-être même que je chantonne (très curieux glissements d’humeur, semblables à ceux des nuages ; comme si tout ça était en partie joué — ce que c’est, bien sûr, mais alors il n’y a rien qui ne le soit).
Renaud Camus, « jeudi 29 avril 1976 », Journal de « Travers » (1), Fayard, p. 202.
On n’a pas expugné une chimère qu’un troupeau, que mille se bousculent pour prendre sa place. On n’a jamais eu autant de souci qu’au moment d’embrasser un parfait repos. Il faut disputer avec tous les échos de la mauvaise part, opposer qu’il n’est pas plus déraisonnable de ne plus bouger que de faire le contraire, qu’il n’y a rien de criminel à préférer un goût de sève aux âcretés de la cendre et du sang, qu’il n’est pas moins légitime d’y sacrifier qu’à quoi que ce soit d’autre dont elles proclament l’importance.
Un tiers, un promeneur attardé rentrant par les bois et me découvrant le dos à un tronc, les jambes aux corps, les bras enserrant les genoux n’aurait jamais soupçonné de quelles empoignades féroces l’inertie de souche qu’il constatait était le fruit. Peut-être s’en serait-il douté en me voyant frémir, prendre appui dans l’humus, les feuilles sèches, esquisser le mouvement de me lever, lorsqu’une injonction péremptoire, inattendue, me touchait.
Pierre Bergounioux, L’orphelin, Gallimard, p. 70.
Tous les prénoms ont été changés. Quoi de plus individualiste qu’un prénom ? Quoi de plus dangereux qu’une identité ? Une seule syllabe suffit bien, puisqu’il n’y a pas d’être.
Rithy Panh, L’élimination, Grasset, p. 87.
Lorsque, quelques semaines plus tard, près de Waterbury, Connecticut, je me suis retrouvée seule dans une chambre au design de motel des années 1960 miraculeusement préservé […] je me suis rappelé que c’est dans les chambres étrangères que nous pouvons saisir la sensation la plus juste parce que la plus égarée de notre existence, non pas dans la chambre familière, celle à laquelle j’aspirais à chaque instant de mon voyage – m’y retrouver enfin, m’y couler – mais dans l’espace toujours réfractaire d’un lieu désaffecté qu’on ne parviendra pas à soumettre. Qu’est-ce que je venais faire ici ?
Nathalie Léger, Supplément à la vie de Barbara Loden, P.O.L., p. 53.
Par exemple, il marche dans la rue et les magasins ne l’intéressent pas, il a l’impression d’être dans une gaine plastique bleue, les personnes sont comme des choses, les choses comme de l’eau qui coule. Cyrille, fort de ce qu’il a appris en Italie, a nommé cette affection le Syndrome de Raphaël parce qu’on a souvent rencontré un problème identique avec les peintures de Raphaël : les peintures étaient là avec toute leur beauté, mais les gens ne les voyaient pas. De nos jours, les choses sont simples, nous avons les cartels et les guides touristiques qui nous indiquent avec précision ce que nous devons trouver beau ; mais, à une époque où on était tellement moins bien organisé, les gardiens du Vatican racontaient que les gens, à la fin de la visite, réclamaient de voir les célèbres fresques de Raphaël, alors qu’ils étaient déjà passés devant sans y prêter la moindre attention.
Emmanuelle Pyreire, Foire internationale, Les Petits Matins, p. 19.
Le visage est le masque commun. Bal costumé thématique. Loups et postiches distribués à l’entrée. Choix restreint. Tout le monde convoite la perruque blonde. Il n’y en a qu’une. Tant pis.
Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 72.