fixations

On se découvre alors des fixations farouches. Des choses ridicules — mes lunettes de lecture, un mouchoir, un certain instrument pour écrire — polarisèrent ma possessivité démente. Égarer provisoirement l’un d’eux me remplissait d’un désarroi frénétique, chacun de ces objets étant le rappel tactile d’un monde voué à bientôt s’effacer.

William Styron, Face aux ténèbres. Chronique d’une folie, Gallimard, p. 91.

Guillaume Colnot, 15 mai 2002
découragement

On ne prête pas le flanc au découragement, soudain on est le découragement entier.

François Rosset, L’archipel, Michalon, p. 102.

David Farreny, 5 fév. 2004
beauté

Vivre dans la beauté, voilà l’exigence où nous devons nous barricader absolument ; refuser ses banlieues, leurs commodités, leurs accoutumances ; renouveler chaque fois l’expérience de l’émerveillement, de la solitude, de la nuit s’il y faut la nuit. Ne pas transiger sur ce point. Ne pas écouter la voix du bon sens, de la résignation, de la fatigue. Suivre les fleuves, se mettre à l’écoute du silence, creuser toujours davantage notre absence au monde, puisqu’elle est notre seule éternité, le seul frémissement de notre sourire, la pierre philosophale où se transmue l’instant en son essence poétique, qui est probablement de n’être rien (et nous avec lui) : une fraîcheur contre notre visage, un souffle venu de la rivière, une fallacieuse fulgurance des signes, leur évidence coite.

Renaud Camus, Aguets. Journal 1988, P.O.L., p. 300.

Élisabeth Mazeron, 19 août 2005
malgré

Je suis persuadé qu’à un niveau profond de vérité, tous ceux qui écrivent fantasment selon les mythes du “grand écrivain” — c’est inévitable. Mais parce que cela est vrai en profondeur, vaguement, inconsciemment, ce ne l’est pas pour autant à la surface, clairement, intellectuellement — pas plus que le « On écrit pour être aimé » de R.B. : phrase que les idiots, à juste titre, trouvent idiote, et dont ils estiment qu’elle ne peut concerner que les imbéciles, alors qu’en fait elle est très vraie, mais vraie seulement au troisième ou quatrième niveau de profondeur, et fausse comme vérité de surface (sauf pour quelques imbéciles, justement ; moi j’écris pour n’être pas aimé, superficiellement, et, plus profondément (ou moins superficiellement), pour être aimé malgré toutes les raisons qu’il y a (que je donne) de ne pas m’aimer (le seul amour qui vaille est l’amour malgré (l’autre, c’est trop facile))).

Renaud Camus, « jeudi 24 juin 1976 », Journal de « Travers » (1), Fayard, p. 604.

David Farreny, 11 oct. 2007
confins

Mes oreilles bourdonnaient, je n’étais plus à moi. Il y a une longue ligne droite après la sortie du bourg, plus loin que les noyers, avant les bois, tout entourée de grands champs ; mon regard durement fouillait ces champs, se portait aux confins, remontait aux lisières, tous lieux où mille fois naissait Yvonne dans ses bas, blanche, les reins nus dans le froid, mordue, jetée hors du bois dans les sévices de l’hiver et de mon esprit.

Pierre Michon, La Grande Beune, Verdier.

Cécile Carret, 21 fév. 2009
cinquantaine

Quand on pense à la cinquantaine qui guette les premiers hippies, le cœur se serre.

Paul Morand, « 16 octobre 1975 », Journal inutile (2), Gallimard, p. 635.

David Farreny, 23 sept. 2010
expression

Clément était si bien. Quelle vie ! Quelle journée ! Quel beau temps ! La journée de plus en plus belle. Il était si bien. Il n’était pas hanté par l’expression.

Dominique de Roux, La jeune fille au ballon rouge, Le Rocher, p. 165.

David Farreny, 13 fév. 2011
tourner

Musique qui en tout cas n’a rien d’humain. C’est le chant de l’absolu. Au xylophone les temps forts et différenciés, d’autres instruments viennent couper en syncope là-dedans. Le gong suspend tout.

[…]

Vers la fin de certains morceaux ils freinent et c’est exactement comme une carriole qu’on arrête. Les pas des chevaux et le rythme des sonnailles ralentit et la roue, car cette musique est plus qu’une autre une roue, s’arrête de tourner.

Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 132.

Cécile Carret, 28 juin 2012
jeu

Ákos a pris en main ses neuf cartes, avec des doigts experts les a rangées en un rien de temps, les saluant une à une au passage, elles qui parlaient du monde ancien, des temps heureux, le bateleur avec son luth à tête humaine et son épée, la danseuse espagnole en crinoline avec ses castagnettes, le Turc accroupi la pipe à la bouche, l’excuse avec son fou au costume de clown bariolé, au bonnet bicolore à double pointe, et le tout-puissant vingt et un, la carte qui prévaut sur toutes, avec ses soldats, auxquels de ce fait honneur est rendu. Quel familier, quel doux charivari. Assis sur un mur, des amoureux s’embrassent, un soldat d’autrefois prend congé de sa bien-aimée, un navire gagne le large. Il avait un jeu magnifique.

Dezsö Kosztolányi, Alouette, Viviane Hamy, p. 153.

Cécile Carret, 4 août 2012
voyance

La seule voyance : le regard épanoui librement dans ce qu’il contemple. Arbres.

Petr Král, Cahiers de Paris, Flammarion, p. 181.

David Farreny, 2 avr. 2013
fait

Moi, j’ai eu des filles ; j’ai fait des filles. Moi qui ne connais pas la musique ; moi qui dessine si mal ; moi qui suis incapable de fixer des étagères. J’ai fait des filles, avec des cheveux fins et des pieds menus, avec deux yeux chacune et des épaules rondes. Je n’en reviens toujours pas.

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 104.

Cécile Carret, 25 fév. 2014

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