situer

Non, les mots ne sont pas faits pour désigner les choses. Ils sont là pour nous situer parmi les choses. Si on les voit comme des désignations, on montre qu’on a l’idée la plus pauvre du langage. La plus commune aussi. C’est le combat, mais depuis toujours, du poème contre le signe.

Henri Meschonnic, Célébration de la poésie, Verdier, p. 249.

David Farreny, 2 sept. 2002
dire

Nous n’aurons pas connu la terre. Encore une saison de passée. Ce que j’en ai vécu, je serais incapable de le dire.

Renaud Camus, L’épuisant désir de ces choses, P.O.L., p. 115.

David Farreny, 11 fév. 2006
inlassable

Comme il y a un style mescaline, il y a des couleurs de la Mescaline. À qui en a pris, vous pouvez les montrer dans la réalité. Elles seront reconnues. (Non toujours celles-là, mais celles qui auront le même air de famille.)

Les criardes d’abord. Des rouges stridents passent près de verts absolus. C’est un drame optique. Les écœurantes ensuite. Des pierreries en quantité, visiblement fausses, sont l’inlassable cadeau.

Henri Michaux, « Misérable miracle », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 672.

David Farreny, 4 mars 2008
capable

Le bonheur, c’est le style. Ou bien « le style c’est le bonheur », je ne sais plus, peu importe. De toute façon, il ne s’agit jamais que de to coin a phrase, la frapper. Je ne prétends pas qu’elle soit tout à fait vraie, mais souhaiterais seulement qu’elle solennisât un peu, au prix d’un léger abus de sens ou d’une visible approximation, toujours nécessaire à l’affûtage de formules, une vérité sans doute imparfaite, mais agissante, vérifiable : que le style, s’il n’est pas absolument suffisant à assurer le bonheur, y contribue puissamment, toutefois, ou, pour dire encore moins, qu’il atténue les coups du malheur en les transmuant en tragédie, dans l’acception pleinement cathartique du terme ; que de la mélancolie il sait faire de la poésie, et tirer du plaisir, avec de la joie, tout un art. Distance, rime, imperceptible recul, accentuation, mise en forme, en place, en abyme, en lumière, ironie détachée mais critique à l’égard des oripeaux du prétendu « naturel », il est seul capable de faire des heures une journée, de la nourriture un repas, d’une discussion un échange, d’un cliché une photographie, d’un geste un souvenir, du temps qui passe un peu de temps qui reste.

Renaud Camus, « samedi 24 octobre 1987 », Vigiles. Journal 1987, P.O.L., pp. 392-393.

David Farreny, 16 nov. 2010
autant

Ce processus de la propagation du genre débouche dans la mauvaise infinité du progrès. Le genre se conserve seulement moyennant la disparition des individus qui, dans le processus de l’accouplement, ont rempli leur destination, et, pour autant qu’ils n’en ont pas de plus haute, vont, par là, à la mort.

Georg Wilhelm Friedrich Hegel, « Le rapport des sexes », Encyclopédie des sciences philosophiques, II. Philosophie de la nature, Vrin, p. 325.

David Farreny, 7 fév. 2011
engrenage

Nos poumons et nos bronches se mettent au repos – pompes sans cesse activées pour lutter contre l’asphyxie qui à chaque instant nous menace : inspiration, expiration, celle-ci suivie de funérailles. L’œuvre de Dino Egger eût brisé cet engrenage fatal, apaisé notre halètement. Nous recouvrons le calme propice aux pensées délicates, aux amples conceptions, aux affections durables. Notre cœur cependant bat toujours : c’est l’émotion.

Éric Chevillard, Dino Egger, Minuit, p. 102.

Cécile Carret, 18 fév. 2011
mesurer

Aujourd’hui, mon point de vue a changé pas seulement parce que j’ai connu ce plaisir et que je ne me sens pas prêt à y renoncer (cet aveu me coûte), mais parce que j’ai appris à mesurer le temps qui passe à l’aune de la vie sexuelle. Je me suis mis – depuis mon veuvage – à compter les jours et les nuits moins en terme de temps chronologique écoulé ou révolu, qu’en fonction des rencontres ou des satisfactions de cet ordre. Non, ce n’est pas cela, c’est même exactement le contraire : je compte le temps des jours comme perdu, irrémédiablement perdu, quand il s’est écoulé sans émotion sensuelle. Sans émotion, sans contact, pas sans satisfaction : dans les périodes où j’ai recherché des satisfactions solitaires, il m’a semblé que le temps écoulé en était d’autant plus perdu ou gâché. Comme si l’émotion de la rencontre – une partenaire qui la veut bien, qui l’a souhaitée, quelle qu’ait été la nature de la réalisation – changeait la nature du temps qui passe, maintenait le contact avec la vie, avec la réalité même.

Pierre Pachet, Sans amour, Denoël, p. 64.

Cécile Carret, 13 mars 2011
longtemps

Elle mit la clé dans la serrure mais n’ouvrit pas. L’enfant attendit ; il dit enfin : « Est-ce que nous n’entrons pas ? »

La femme : « Ah ! restons donc encore un peu dehors ! »

Ils restèrent longtemps devant la porte d’entrée. Un homme avec un attaché-case passa près d’eux et ne cessa de se retourner sur eux.

Peter Handke, La femme gauchère, Gallimard, p. 89.

Cécile Carret, 30 juin 2013
public

Autant que la gravité, elle avait en grippe l’insistance et la bêtise. Au lendemain d’une soirée de théâtre, alors qu’elle venait d’étriller devant son fidèle auditoire l’auteur dont, la veille, elle avait vu la pièce, un fâcheux s’obstina longuement à la contredire et crut bon de lui faire remarquer que ce soir-là, justement, le public s’était montré enthousiaste. « Eh bien, Monsieur, lui dit-elle, si le public a aimé, il est bien le seul ! »

Frédéric Schiffter, « La marquise du cafard (Sur Mme Du Deffand) », Le charme des penseurs tristes, Flammarion.

David Farreny, 4 mai 2024

mot(s) :

auteur :

rechercher 🔍fermer