publiés

Les Anciens pourraient dire à raison que leurs poèmes, simplement chantés, étaient publiés, tandis que nos livres, imprimés, restent toujours inédits.

Giacomo Leopardi, Zibaldone, Le Temps Qu’il Fait.

David Farreny, 4 nov. 2002
combinaison

Quoi qu’il en soit, ce fut une remarquable combinaison de la nature que d’accorder aux mêmes animaux le vol et le chant, car, ainsi, ceux qui ont à divertir les autres créatures avec la voix se rencontrent d’ordinaire dans les lieux élevés, d’où celle-ci peut se répandre plus largement à l’entour et toucher un plus grand nombre d’auditeurs ; et d’autre part, l’élément destiné au son, l’air, se trouve peuplé de créatures chantantes et musiciennes. C’est vraiment un grand réconfort et un grand plaisir que procure, autant, me semble-t-il, aux animaux qu’à nous-mêmes, le chant des oiseaux. Je crois que cela tient moins à la douceur des sons, à leur variété ou à leur harmonie, qu’à cette idée de joie qu’exprime naturellement le chant, en particulier celui-là, lequel est une sorte de rire que l’oiseau émet lorsqu’il est plongé dans le bien-être et le contentement.

Giacomo Leopardi, « Éloge des oiseaux », Petites œuvres morales, Allia, p. 169.

David Farreny, 9 nov. 2005
indétermination

La philosophie se meut dans un air raréfié, un peu trop loin du sol exigu, détaillé de nos existences. L’histoire parcourt à trop longues enjambées les plaines de la durée. Nos gestes, nos affections, nos pensées, trop insignifiants, fugaces, se diluent. D’ailleurs, c’est des morts qu’elle parle et nous respirons encore. Il s’agissait de trouver une voie médiane entre les mots approximatifs de chaque jour et l’explication générale, abstraite, où se perdent la couleur et le goût des instants, la temporalité courte, chargée d’affects, scandée d’événements petits, mais pour nous très grands, décisifs, qui sont la vie même. La littérature, dans son indétermination essentielle, semblait être le chemin. Je l’ai emprunté.

Pierre Bergounioux, Écrire, pourquoi ?, Argol, p. 16.

David Farreny, 2 juil. 2006
intensité

Nulle différence entre l’être et le non-être, si on les appréhende avec une égale intensité.

Emil Cioran, De l’inconvénient d’être né, Gallimard, p. 24.

David Farreny, 13 oct. 2006
entre-deux

Le vocabulaire dont on décide de se servir peut effectivement empêcher de penser, et si l’on décrète « archaïques » certains mots ou expressions, alors il faut en trouver d’autres qui soient aussi justes, aussi forts, et ne se situent pas dans l’« euphémisation », dans cet entre-deux qui abaisse l’acuité ou l’effervescence d’une réalité décrite. Si l’on décide que tel mot est obsolète, on peut éventuellement l’accepter, mais il me semble que l’intérêt de la science historique est de trouver à travers les mots une signification qui soit proche du réel passé et puisse apporter de nouveaux types d’interprétation, de nouvelles richesses de sens. Ces mots ne peuvent être dans le déficit d’analyse, ni même collés à une réalité d’aujourd’hui abaissée par le vocabulaire et la syntaxe qui ne fait qu’en adoucir le sens afin de ne pas faire peur. En fait, ces changements de vocabulaire font violence à la pensée et à la création. Lorsque des experts expliquent que l’économie actuelle et la mondialisation sont « incontournables », sans rien préciser d’autre, c’est en fait d’une extrême violence. « Incontournable », voilà un des mots clefs qui somment celui qui les reçoit de rester immobile.

En fait, de nombreux mots prétendument « anciens » peuvent encore nous servir, car ils servent à dire le réel, efficacement ; les assimiler systématiquement à une idéologie dite suspecte, c’est non seulement les rendre inopérants, mais c’est tuer le réel. Or ces mots peuvent être employés sans dénoter aucune idéologie suspecte.

Il n’y a aucun séminaire ni aucune conférence que je ne tienne sans que s’y déroule en même temps une réflexion sur le rapport au lexique, aux mots, et sur la façon dont il faut travailler pour trouver le mot juste qui viendra le mieux caractériser une situation ayant eu lieu autrefois.

Arlette Farge, Quel bruit ferons-nous ?, Les Prairies ordinaires, p. 144.

Cécile Carret, 23 avr. 2007
jamais

Le répit n’est jamais qu’un instant de la trépidation.

Éric Chevillard, Commentaire autorisé sur l’état de squelette, Fata Morgana, p. 70.

David Farreny, 30 déc. 2007
congé

J’étais devenu mon propre fantôme. À la façon des fakirs, capables de traverser une foule sans qu’on les remarque, ou du héros d’un conte de Chamisso, je ne projetais plus sur le sol aucune ombre, même aux lumières rasantes du lever et du couchant. Le monde était devenu irréel. Mes orbites étaient-elles vides ou le paysage, sous mes yeux, s’était-il évanoui ? Dieu et les maîtresses de maison me pardonnent : j’étais en train de prendre congé.

François Nourissier, Le musée de l’homme, Grasset, p. 15.

David Farreny, 21 avr. 2009
comblements

Comblements : on ne les dit pas — en sorte que, faussement, la relation amoureuse paraît se réduire à une longue plainte. C’est que, s’il est inconséquent de mal dire le malheur, en revanche, pour le bonheur, il paraîtrait coupable d’en abîmer l’expression : le moi ne discourt que blessé ; lorsque je suis comblé ou me souviens de l’avoir été, le langage me paraît pusillanime : je suis transporté, hors du langage, c’est-à-dire hors du médiocre, hors du général : «  Il se fait une rencontre qui est intolérable, à cause de la joie, et quelquefois l’homme en est réduit à rien ; c’est ce que j’appelle le transport. Le transport est la joie de laquelle on ne peut pas parler.  »

Roland Barthes, Fragments d’un discours amoureux, Seuil, p. 66.

Élisabeth Mazeron, 8 déc. 2009
stylisation

Banque, puis cherché le magasin des poupées de wayang. Travail magnifique que la peinture vulgaire abîme ensuite. Dans la stylisation des formes il y a quelque chose qui vient de la plume, du monde des oiseaux, qui rappelle le côté échassier qu’ont si souvent les Javanais. Côté perché, distrait, ailleurs, prêt à s’envoler dans un déploiement de surfaces insoupçonnées.

Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 124.

Cécile Carret, 28 juin 2012
contaminé

Nous récupérerons demain les rideaux du salon, les tableaux, après quoi, je suppose, nous ne reviendrons jamais plus dans cette maison. Entre autres étrangetés de la mémoire, il y a celle-ci : l’instant où nous y avons emménagé me semble proche tandis que celui, qui le précède immédiatement, où nous avons quitté la rue Gambetta, semble appartenir à un âge extrêmement éloigné, contaminé qu’il est, sans doute, par l’obscure éternité de l’enfance à laquelle, par l’effet du lieu, il touchait.

Pierre Bergounioux, « lundi 25 octobre 2004 », Carnet de notes (2001-2010), Verdier, p. 526.

David Farreny, 24 fév. 2024

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