rien

Tout peut arriver dans la vie, et surtout rien.

Michel Houellebecq, Plateforme, Flammarion, p. 216.

David Farreny, 14 avr. 2002
base

Un bref coup d’œil sur la campagne, par-dessus un mur aux environs de la ville, me libère plus complètement que ne le ferait un long voyage pour quelqu’un d’autre. Tout point de vue est le sommet d’une pyramide renversée, dont la base est indéfinissable.

Fernando Pessoa, Le livre de l’intranquillité (1), Christian Bourgois, p. 63.

David Farreny, 9 fév. 2003
rompre

À un certain degré de détachement ou de clairvoyance, l’histoire n’a plus cours, l’homme même cesse de compter : rompre avec les apparences, c’est vaincre l’action et les illusions qui en découlent. Quand on s’appesantit sur la misère essentielle des êtres, on ne s’arrête pas à celle qui résulte des inégalités sociales, ni on ne s’efforce d’y remédier.

Emil Cioran, Essai sur la pensée réactionnaire, Fata Morgana, p. 34.

Guillaume Colnot, 11 juin 2004
reflets

J’ai fait d’autres rêves. Il m’a semblé que je pourrais les atteindre, les tirer au jour si je me dépêchais, dans le demi-sommeil qui précède le réveil. On est alors comme un plongeur qui a quitté les grands fonds peuplés de visions mais n’a pas encore crevé la surface dont les reflets empêchent de deviner l’univers submergé, onirique. Je n’ai pas réagi assez vite. À deux ou trois reprises, dans la journée, il me semblera que je suis sur le point de saisir une bribe avec quoi, en tirant, je pourrai faire venir le Béhémot. Mais elle m’échappe et l’eau se referme.

Pierre Bergounioux, « jeudi 29 janvier 1981 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 25.

David Farreny, 11 mars 2006
vingt-deux

Comprenant soudain que le monde fut créé pour les filles de vingt-deux ans et demi, conçu et organisé pour elles, autour d’elles, que toute entreprise en ce monde ne vise en dernier lieu qu’à satisfaire les filles de vingt-deux ans et demi, vise même à ne satisfaire qu’elles, que le vaste et complexe système de l’Univers n’a d’autre raison d’être que le plaisir et la gloire et le chant des filles de vingt-deux ans et demi, que toutes les forces mises en œuvre depuis le moindre effort tendent à accroître encore le pouvoir déjà excessif des filles de vingt-deux ans et demi, Crab récupère ses fonds, rompt tous ses contrats, se retire de l’affaire et remet sa démission.

Éric Chevillard, Un fantôme, Minuit, pp. 128-129.

David Farreny, 12 mars 2008
vieilli

J’ai vieilli d’un an. Mon existence se partage, désormais, en deux moitiés, l’une, la première, obscure, immanente, sans but, l’autre déchirée par la conscience que je suis, qu’il importe d’y voir clair, de se déterminer par rapport à ce qui en vaut la peine, d’agir en conséquence. L’ennui, c’est que mille choses me touchent, me hèlent, s’offrent à ma joie. Cent vies n’y suffiraient pas. C’est pourquoi je les mène en rêve.

Pierre Bergounioux, « mercredi 25 mai 1983 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 208.

Élisabeth Mazeron, 28 sept. 2008
oreilles

Un signe de vieillissement que je remarque depuis assez longtemps : mes oreilles s’agrandissent. L’homme montre, en prenant de l’âge qu’il n’est qu’un âne.

Pierre Drieu La Rochelle, « Journal 1944-1945 : 1er février », Récit secret. Journal 1944-1945. Exorde, Gallimard, p. 81.

Élisabeth Mazeron, 20 juin 2009
fluait

Cette ville était devenue, pour moi, une expérience spirituelle et la lumière souvent brumeuse qui la baignait me sensibilisait constamment à un ordre de vérité où les choses ne sont ni elles-mêmes ni leur reflet mais se tiennent ailleurs et se diluent en des significations multiples et toujours fuyantes — comme si la lumière était, ici, de nature aquatique et formait l’élément vital de ce qui n’en finit jamais de naître : larves, plancton, sargasses, semences saturniennes. C’était l’indéfini. Et lorsque les brouillards — légendaires — mêlaient, en leur stagnance, la totalité des éléments, la ville et la pensée comme la chair et son souffle ne se dissociaient plus : dans la profondeur de son inertie, le cœur unique de toutes choses fluait au-dedans de lui-même. Et moi, comme un atome que l’amour eût noyé, je consentais sans réserve au bercement du temps.

Claude Louis-Combet, Blanc, Fata Morgana, pp. 15-16.

Élisabeth Mazeron, 6 mars 2010
revendiquer

Je suis debout sur la plate-forme du tramway et je suis dans une complète incertitude en ce qui concerne ma position dans ce monde, dans cette ville, envers ma famille. Je serais incapable de dire, même de la façon la plus vague, quels droits je pourrais revendiquer à quelque propos que ce soit. Je ne puis aucunement justifier de me trouver ici sur cette plate-forme, la main passée dans cette poignée, entraîné par ce tramway, ou que d’autres gens descendent de voiture et s’attardent devant des étalages. Personne, il est vrai, n’exige rien de tel de moi, mais peu importe.

La voiture s’approche d’une station, une jeune fille s’avance vers le marchepied, prête à descendre. Je la vois aussi nettement que si je l’avais touchée du doigt. Elle est vêtue de noir, les plis de sa jupe sont presque immobiles ; son corsage est ajusté, avec une collerette de dentelle blanche à petites mailles ; la main gauche est à plat contre la paroi de la voiture ; de la main droite, elle appuie son parapluie sur la deuxième marche. Son visage est hâlé ; son nez, légèrement pincé, est large et rond du bout. Elle a une abondante chevelure brune, un peu ébouriffée sur la tempe droite. Elle a l’oreille petite et bien plaquée ; mais, comme je suis tout près, j’aperçois de derrière tout le pavillon de l’oreille droite, ainsi que l’ombre qu’il porte près de sa racine.

Je me suis demandé ce jour-là : d’où vient qu’elle ne s’étonne pas d’être comme elle est, qu’elle garde la bouche close et ne dise rien de tout cela ?

Franz Kafka, « Le voyageur du tramway », Œuvres complètes (2), Gallimard, pp. 109-110.

David Farreny, 19 nov. 2011
apparaître

Cela doit apparaître tout autrement aux barbus.

Georg Christoph Lichtenberg, Le miroir de l’âme, Corti, p. 192.

David Farreny, 11 déc. 2014
solitude

La solitude enseigne à être intellectuellement plus honnête, mais elle incite à être intellectuellement moins courtois.

Nicolás Gómez Dávila, Carnets d'un vaincu. Scolies pour un texte implicite, L'Arche, p. 11.

David Farreny, 29 fév. 2024
brusquement

Puis je fis brusquement volte-face. L’horizon dans mon dos était complètement dégagé.

Éric Chevillard, « samedi 30 septembre 2023 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 18 mars 2024
concepts

Surchargé de concepts, Bergson peinait dans les montées. Il fit l’acquisition d’une mule puis, sur le conseil d’un fallacieux bourrelier de l’endroit, décida de troquer son « élan vital » contre une sellette en cuir munie de courroies afin d’y attacher ses autres concepts (intuition, durée, etc.) et une large gourde en peau.

Olivier Pivert, « Adieu, élan vital », Encyclopédie du Rien. 🔗

David Farreny, 14 mai 2024

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