civil

Quand un homme s’est mis en alexandrins il a beaucoup de peine à rentrer dans le civil.

Henri Michaux, « Qui je fus », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 100.

David Farreny, 20 mars 2002
divinité

On n’entend rien aux religions si l’on croit que l’homme fuit une divinité capricieuse, mauvaise ou même féroce, ou si l’on oublie qu’il aime la peur jusqu’à la frénésie.

Emil Cioran, Essai sur la pensée réactionnaire, Fata Morgana, p. 24.

Guillaume Colnot, 11 juin 2004
pluie

La porte de verre battante d’une galerie commerciale à carrelage terne et quand on entre c’est la sensation de chaleur à l’air pulsé et une musique qui pourtant ne couvre pas le bruit de fond des pas, des voix et des appels ; un bâtiment en travaux empiétant sur le trottoir et on longe une palissade de bois avec par terre des planches pour éviter la boue ; ou simplement l’attente devant un passage piétons, le feu des voitures étant au vert et elles rapides et méchantes sur le bitume lisse et gris, sombre de pluie, on attend.

François Bon, « Un bruit dessous de machine », Tumulte, Fayard, p. 16.

David Farreny, 1er mai 2008
égaré

Égaré dans ces images de maisons basses et d’étoiles, j’aperçus tout à coup un avion – un garçon, les bras tendus en ailes, vrombissant comme un supersonique, qui tournait, virevoltait, atteignit une petite place, devint automobile, gronda, actionna ses leviers, saisit son volant, fit, d’une grosse voix muée, rugir son moteur et, les poings en pare-choc, freina brusquement devant une autre voiture pour pisser contre.

Tony Duvert, Journal d’un innocent, Minuit, p. 22.

Cécile Carret, 6 déc. 2008
noms

Grâce à ma fatigue, le monde était grand et débarrassé de ses noms.

Peter Handke, « Essai sur la fatigue », Essai sur la fatigue. Essai sur le juke-box. Essai sur la journée réussie, Gallimard, p. 44.

David Farreny, 31 oct. 2009
scandales

La morale elle-même engendre la Terreur quand, dépeuplant l’univers de tout ce qui n’est pas l’Autre et son ennemi, elle ne rencontre jamais de problèmes ou de dilemmes mais seulement des scandales. « Je ne sais point discuter longuement où je suis convaincu que c’est un scandale de délibérer », disait encore Robespierre dans son discours sur le parti à prendre à l’égard du roi.

Alain Finkielkraut, « La gauche de gauche et les virgules noires », L’imparfait du présent, Gallimard, p. 238.

Élisabeth Mazeron, 9 janv. 2010
échapper

On m’a raconté que, de l’instant où j’ai eu l’usage de l’alphabet, la moindre sortie tournait au cauchemar. Pas moyen de m’arracher au laborieux déchiffrement des inscriptions moulées dans les plaques d’égout – Fonderie Puydebois, ça m’est resté – ou peintes sur de petits écriteaux en tôle émaillée, fichés dans l’herbe du parc. Ils stipulaient qu’il était interdit de marcher sur la pelouse, que les chiens devaient être tenus en laisse et les papiers jetés dans les corbeilles « ad hoc ». Il paraît que ça n’allait plus du tout. Impossible de m’entraîner. Je butais sur « ad hoc ». Il y avait une faute ou alors, contrairement à ce que j’avais cru, l’écrit continuait de m’échapper. Quelqu’un, qui n’était pas plus avancé que moi, a déclaré que c’était de l’américain et j’ai consenti à repartir, à regret.

Pierre Bergounioux, Chasseur à la manque, Gallimard, p. 28.

Cécile Carret, 14 avr. 2010
ordinaireté

Je tourne en vain autour d’un souvenir très flou, peut-être imaginaire, d’une terrasse en Périgord, un jour d’hiver — mais c’était peut-être au printemps : il suffit que ce ne soit pas pendant la saison. Ici, dans le parc, les jardiniers taillent les haies. Il fait assez frais, mais très beau. Marcher sur la terrasse, au-dessus du viale, entre la villa et ma maison, leurs travaux d’un côté, donc, et de l’autre la ville… Il n’y a pas dans l’année d’époque moins touristique, à Rome. On n’aperçoit pour ainsi dire pas d’étrangers, le long des rues. Ce silence, cette lenteur, cette tranquillité, cette merveilleuse ordinaireté de la beauté, ce pourrait donc être la vraie vie ? Un jour si beau être cette chose si rare, un jour comme un autre ?

Renaud Camus, « mardi 3 février 1987 », Vigiles. Journal 1987, P.O.L., p. 42.

David Farreny, 9 oct. 2010
naturellement

Aussi les dossiers de la justice, et principalement l’acte d’accusation, restaient-ils secrets pour l’accusé et son avocat, ce qui empêchait en général de savoir à qui adresser la première requête et ne permettait au fond à cette requête de fournir d’éléments utiles que dans le cas d’un hasard heureux. Les requêtes vraiment utiles ne pouvaient se faire, ajoutait Me Huld, que plus tard, au cours des interrogatoires, si les questions que l’on posait à l’inculpé permettaient de distinguer ou de deviner les différents chefs d’accusation et les motifs sur lesquels ils s’appuyaient. Naturellement, dans de telles conditions, la défense se trouvait placée dans une situation très défavorable et très pénible, mais c’était intentionnel de la part du tribunal.

Franz Kafka, « Le procès », Œuvres complètes (1), Gallimard, pp. 362-363.

David Farreny, 21 avr. 2011
royal

La neige a de grands pieds, le petit tailleur ne peut faire autrement que de marcher dessus, mais il ne pèse rien et, parvenu au sommet de la montagne, il continue quelques temps encore sur sa lancée, dans l’azur, voilà un prodige que les frères Grimm se sont bien gardés de rapporter, soucieux seulement des ruses et des astuces de leur personnage et lui déniant les pouvoirs merveilleux ou magiques dont ils ont doté avec générosité les héros des autres contes, on se demande pourquoi ce traitement différent tandis que le petit tailleur sous nos yeux s’élève bel et bien dans les airs simplement en agitant les jambes et en secouant les épaules pour forcer l’aigle royal à lâcher prise, lequel en effet finit par le laisser choir dans un buisson qui amortit sa chute.

Éric Chevillard, Le vaillant petit tailleur, Minuit, p. 52.

Cécile Carret, 25 avr. 2011
alevins

Le représentant, un faux jovial à beaux traits de retable. S’excuse d’avance : « Y’aura peu de monde, c’est Pâques, la rentrée des classes. » Je ne lui en demandais pas tant. Malgré quoi les gosses remplissent la salle. Garçons de la Sainte-Trinité, filles de l’Annonciation, et tous les branleurs de la communale. Un parterre d’alevins frétillants qui ne tiennent pas en place.

Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 58.

Cécile Carret, 18 juin 2012
saison

L’été n’est pas une saison vivante mais une saison vécue.

Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 236.

David Farreny, 24 août 2014

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