matière

M. Crawley avait apporté ses soins et ses consolations à cette femme délaissée sur son lit de souffrance ; et elle avait quitté le monde, raffermie par ses pieuses exhortations. Depuis bien des années, il était seul à lui témoigner des égards et des attentions. Telle était dès longtemps l’unique consolation de cette âme faible et abandonnée. La matière chez elle avait longtemps survécu à l’esprit.

William Makepeace Thackeray, La foire aux vanités (1), P.O.L., p. 207.

David Farreny, 22 mars 2002
imposé

Marbœuf n’a pas encore quarante ans. Il est à la moitié de sa vie et a déjà imposé l’idée qu’il ne faudrait attendre aucun livre de lui.

Jean-Yves Jouannais, Artistes sans œuvres, Hazan, p. 65.

David Farreny, 14 avr. 2002
moindre

L’air cru étourdit. Les blocs sourds de granit proclament, sans phrase, la brièveté fulgurante de nos vies, la vanité de nos vues, la fatalité de l’oubli. Rien n’a changé. Rien ne changera jamais. Nous passons comme des rêves et cette pensée, cet émoi dont on est transi, sont eux-mêmes dénués de la moindre importance.

Pierre Bergounioux, « Millevaches », Un peu de bleu dans le paysage, Verdier, p. 70.

David Farreny, 24 mai 2002
accaparer

Ce qui serait bien, c’est que nos jours, d’eux-mêmes, se rangent derrière nous, s’assagissent, s’estompent ainsi qu’un paysage traversé. On serait à l’heure toujours neuve qu’il est. On vivrait indéfiniment. Mais ce n’est pas pour ça que nous sommes faits. La preuve, c’est que l’avancée se complique des heures, des jours en nombre croissant qui nous restent présents, pesants, mémorables à proportion de ce qu’ils nous ont enlevé. Ils doivent finir, j’imagine, par nous accaparer. Quand cela se produit, qu’on est devenu tout entier du passé, notre terme est venu. On va s’en aller.

Pierre Bergounioux, Miette, Gallimard, p. 142.

Élisabeth Mazeron, 6 oct. 2004
pense

Et les “lecteurs” – ahmondieu. Les “lecteurs” sont ceux qui disent toute leur vie “parapluie” pour une chose à la vue de laquelle un écrivain pense “une canne en jupon” !

Arno Schmidt, « Parasélène & Yeux roses », Histoires, Tristram, p. 158.

Cécile Carret, 2 déc. 2009
raté

Trouvé sous la porte de l’atelier un coin de papier journal griffonné avec un prénom presque illisible, mais qui n’était pas le mien et un nom qui, à une lettre près, me désignait. Écriture troublante de mage ou d’analphabète. Est-ce que j’aurais raté une annonciation ?

Gérard Pesson, « lundi 22 janvier 1996 », Cran d’arrêt du beau temps. Journal 1991-1998, Van Dieren, p. 223.

David Farreny, 27 mars 2010
pouvoir

Mais plus que tout il voulait que son père lui pardonne. Pardonne-moi ! avait-il envie de lui dire. Te pardonner ? Grands dieux, qu’y a-t-il à pardonner ? Sur quoi, s’il arrivait à en trouver le courage, il ferait enfin des aveux complets : Pardonne-moi d’avoir méchamment, avec préméditation, rayé ton disque de la Tebaldi. Et pour bien d’autres choses encore, tant de choses qu’il me faudrait toute la journée pour les énumérer. Pour d’innombrables mesquineries. Pour le cœur mesquin qui a conçu ces méchancetés. En somme, pour tout ce que j’ai fait depuis le jour où je suis né, si bien que j’ai réussi à faire de ta vie un supplice.

Mais non, aucun indice, pas le moindre, que, durant ses absences, la voix de la Tebaldi, libérée, avait pris son envol. On aurait dit que la Tebaldi avait perdu son charme, ou bien que son père se livrait à un horrible petit jeu. Ma vie, un supplice ? Qu’est-ce qui te donne à penser que ma vie a été un supplice ? Qu’est-ce qui te donne à penser qu’il était en ton pouvoir de faire de ma vie un supplice ?

John Maxwell Coetzee, L’été de la vie, Seuil, p. 299.

David Farreny, 8 janv. 2011
œuvre

Pur esprit, non tout à fait cependant, mais dédiant aussi toutes les sèves du corps et l’électricité de ses muscles à l’élaboration de sa grande œuvre, sacrifiant ce corps sans regrets, et s’il faut broyer dans le mortier un cartilage d’oreille pour obtenir le liant désiré qui fera de son tableau un épisode marquant de notre histoire, n’hésitant pas à trancher la sienne au plus ras aussi naturellement que s’il saisissait sur la table la brosse ou le tampon.

Éric Chevillard, Dino Egger, Minuit, p. 34.

Cécile Carret, 27 janv. 2011

J’ignore si les gens, globalement, s’intéressent aux volcans d’Auvergne. S’ils ont à l’esprit qu’il s’agit de volcans, même éteints. Personnellement, je tends à l’oublier. Je m’avançais dans un paysage de petite montagne, avec des mamelons et peu d’à-pics, et j’observais la végétation. À un moment, je suis descendu de voiture et me suis avancé en grimpant vers des bosquets d’épineux. Il n’y avait personne, le sol était pelé, il recommençait à faire chaud. Je me suis dit que tout était quand même très beau, très silencieux, très hostile. Qu’on voyait très loin, trop. Que je ne détestais pas la montagne mais que la question était de savoir ce qu’elle faisait là, et pour qui. Je doutais de tout ça.

Christian Oster, Rouler, L’Olivier, p. 13.

Cécile Carret, 25 sept. 2011
mille

Comme un certain nombre de provinciaux, j’ai longuement attendu et voulu Paris. […]

Ainsi donc la « vraie vie » commence ; à l’époque, je ne sais pas exactement ce que recouvre la formule, mais qu’importe : je veux l’illusion enivrante que charrie la grande ville, les mille possibles, l’imprévisible toujours renouvelé. Et convoquer enfin tout ce que je me suis promis de vivre.

Arnaud Cathrine, Nos vies romancées, Stock, p. 19.

Cécile Carret, 4 oct. 2011
double

Pour un peu m’y eût manqué l’idiot ou l’ivrogne qui eût entravé çà et là cette fébrilité en titubant absurdement au beau milieu et en faisant perdre un instant à ce peuple suroccupé sa gravité et son application, jusqu’au moment où je m’aperçus que, m’arrêtant dans ma recherche d’endroits où je puisse étudier les deux livres, faisant demi-tour, m’écartant du chemin, palpant tel ou tel coin d’herbe pour savoir si l’on pouvait s’y asseoir, renversé contre un arbre, m’arrachant aussitôt à sa résine et trébuchant pour aller plus loin, j’étais à s’y tromper, le double de cet ivrogne.

Peter Handke, Le recommencement, Gallimard, p. 118.

Cécile Carret, 8 sept. 2013
applaudit

On applaudit quand ça s’arrête.

Éric Chevillard, « dimanche 8 novembre 2015 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 28 fév. 2016

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