insolents

À la sortie du tournant, la chaussée disparaissait sous une couche de bouse de vache et de boue mélangées, durcies. Des rondins, des moellons, des ferrailles empiétaient sur son emprise invisible, ainsi que des chiens bruyants, jaunâtres, des chats circonspects, très vagues, des porcs insolents et libres.

Pierre Bergounioux, « Sauvagerie », Un peu de bleu dans le paysage, Verdier, p. 19.

David Farreny, 27 avr. 2002
sourdement

Mes bras, mes doigts, je peux les dénombrer ainsi que, plus sourdement, mes entrailles.

François Rosset, Froideur, Michalon, p. 160.

David Farreny, 15 nov. 2002
languide

La vie n’est pas une chose à dire, elle est à faire, à aimer, à agir, à subir, à mordre ! Mais la dire… seul un esprit déficient, de complexion languide, se complaît en telle ineptie.

Jean-Pierre Georges, Aucun rôle dans l’espèce, Tarabuste, p. 112.

Élisabeth Mazeron, 28 juin 2006
avenir

L’avenir est difficile.

Pierre Bergounioux, « vendredi 2 août 1996 », Carnet de notes (1991-2000), Verdier, p. 738.

David Farreny, 12 déc. 2007
navigation

Je ne mépriserai jamais ce temps-là, ni ne m’associerai à ceux qui en rient. Avec beaucoup de choses graves ou sensibles que nous apprîmes ensuite à connaître, nous ignorions, alors, la peur, la jalousie, la lâcheté. […] Nous étions extrêmement audacieux et tendres. Cela suffit bien à ce que nous n’insultions pas notre jeunesse.

Puis, il fallut en finir. L’inertie du monde l’emportait, notre force juvénile déjà contre elle s’épuisait. […] Il se peut que nous ayons pleuré. Plus tard, il élut la littérature, moi la navigation. Il nous semblait, je suppose, à l’un comme à l’autre, que ces activités périphériques et hasardeuses ne trahissaient pas la vaste rêverie qui nous avait tenus si longtemps occupés. Nous avions raison. C’étaient de mauvais choix, des métiers sans avenir. On ne s’en relèverait pas.

Olivier Rolin, Port-Soudan, Seuil, p. 12.

Cécile Carret, 8 avr. 2008
vent

Les piaillements des moineaux coupaient de fines entailles l’enceinte de bruit du trafic. Le vent ramassa dans toutes sortes de détritus un grand gaillard de poussière qui fut obligé de valser (jusqu’à ce qu’une auto vienne l’étirer en longueur et le traîne à mort ; avec son unique papier).

Arno Schmidt, « Sortie scolaire », Histoires, Tristram, p. 131.

Cécile Carret, 2 déc. 2009
acolytes

Le double et triple hiver limougeaud — celui du dehors, celui de l’étude et des longs corridors, celui de l’espérance — m’a livré un enseignement majeur. Le présent avait un nom et les cinq continents et les îles. Le premier mot me manquait pour qualifier la seule réalité que j’aie, sinon à proprement parler connue, du moins endurée en personne. Mais il se tenait sans doute quelque part, avec ses maigres, ses noirs acolytes, et il valait la peine, si donc il se pouvait, de mettre la main dessus.

Pierre Bergounioux, Le premier mot, Gallimard, p. 45.

Élisabeth Mazeron, 10 mai 2010
remuions

Prenons, par exemple, le cours d’expression orale. Elle nous invitait à tourner notre attention vers ce qui se déroulait à l’extérieur, puis à nous en inspirer pour parler. Il y avait rarement plus de deux ou trois élèves dans la classe. Nous marchions jusqu’à la fenêtre, nous nous penchions. Nous observions le ciel marbré de plomb et les monticules de gravats dans les rues défoncées et désertes.

— Vous avez aussi le droit de fermer les yeux, prévenait Sarah Kwong.

Je fermais les yeux, le décor changeait ou ne changeait pas, parfois nous nous retrouvions près d’un fleuve équatorial, parfois nous étions à jamais étrangers à tout, parfois nous remuions lugubrement au-delà du bord de la mort. L’exercice consistait à revenir ensuite devant Sarah Kwong et à poser des questions ou à y répondre.

— Où sommes-nous ? demandais-je.

Sarah Kwong attendait que la question finisse de résonner, puis elle répondait :

— À l’intérieur de mes rêves, Dondog, voilà où nous sommes.

Elle prononçait cela avec une dureté évidente, en me lançait un regard qui ne manquait pas de pédagogie, négateur, comme si mon existence n’avait plus la moindre importance ou comme si ma réalité n’était qu’une hypothèse très sale.

C’est cela qui me déplaisait dans l’école, cette assurance avec quoi on démolissait mes moindres certitudes sur tout.

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 104.

Cécile Carret, 14 sept. 2010
compagne

Je me suis réveillée en sursaut. La lune tremblait à travers le grillage qui obture la fenêtre, elle était ronde et petite, d’un ivoire sordide, elle avait la fièvre, elle ne cessait de frissonner bizarrement. C’est aussi que j’ai une maladie qui affecte ma vision nocturne. J’ouvre les yeux, et, dans les images que je reçois, les taches lumineuses dérivent ou s’agitent. Aucun bruit humain ne rôdait ailleurs dans le bâtiment, ma respiration n’avait pas de compagne.

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 198.

Cécile Carret, 3 oct. 2010
échelle

On le voit, ce ne sont pas des projets étriqués car il ne convient à Grégor que d’affronter de vastes dimensions. Très tôt, parmi celles-ci, lui vient la certitude qu’il ferait bien par exemple un petit quelque chose avec la force marémotrice, les mouvements tectoniques ou le rayonnement solaire, des éléments comme ça – ou, pourquoi pas, histoire de commencer à se faire la main, avec les chutes du Niagara dont il a vu des gravures dans des livres et qui lui semblent assez à son échelle. Oui, le Niagara. Le Niagara, ce serait bien.

Jean Echenoz, Des éclairs, Minuit, p. 15.

Cécile Carret, 9 oct. 2010
sans

Et je voyais la jeunesse comme un fleuve, un libre confluent, un flot durablement commun dont j’avais été exclu, en même temps que tous les autres élèves, en entrant à l’internat. C’est un temps perdu qu’il n’était plus possible de rattraper. Il me manquait quelque chose, quelque chose de décisif pour la vie et qui me manquerait toujours. Comme bien d’autres de mes contemporains du village, j’avais un membre en moins ; mais il ne m’avait pas été arraché, comme un pied ou une main, il n’avait tout simplement pas pu se former, et ce n’était pas seulement une extrémité, comme on dit, mais un organe auquel rien ne pouvait suppléer. Mon infirmité était de ne plus pouvoir rien faire avec les autres : ni agir ni parler avec eux. C’était comme si je m’étais échoué, invalide, et que le courant qui n’avait apporté que moi se fût écoulé pour toujours. Je savais que j’avais besoin de la jeunesse, pour tout ce qui allait suivre ; l’avoir désormais manquée sans retour me rendait incapable de mouvement, provoquait même parfois, surtout dans la société des gens de mon âge, qui était pourtant celle qu’il me fallait, une crampe d’immobilisation intérieure très douloureuse qui me faisait jurer envers les responsables de ma paralysie – car ils existaient ! – une haine inexpiable.

Peter Handke, Le recommencement, Gallimard, p. 41.

Cécile Carret, 3 août 2013
rougis

Moins je mens, plus je rougis.

Georges Perros, Papiers collés (1), Gallimard.

David Farreny, 28 fév. 2024
prononcer

Ces pays dont on ne sait trop comment prononcer le nom, par exemple la Bouriatie, sont irritants au plus haut degré. On voudrait n’être jamais venu au monde.

Olivier Pivert, « Bouriatie », Encyclopédie du Rien. 🔗

David Farreny, 26 avr. 2024

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