malheureux

Car entre nous, mon ami, je vous crois heureux, vous et tous les autres ; mais moi, avec votre permission et celle de votre siècle, je suis vraiment très malheureux ; j’en ai la certitude, et tous les journaux du monde ne me persuaderont pas du contraire.

Giacomo Leopardi, « Dialogue de Tristan et d’un ami », Petites œuvres morales, Allia, p. 241.

David Farreny, 9 nov. 2005
régression

Je sais bien : La fatigue, la nuit, le repos, le silence… Éluard, le passé, l’alexandrin, le nombre. Nous ne pouvons même pas prétendre, à l’instar de Pascal, que le disposition des matières est nouvelle. Dirons-nous que la nouveauté serait un sens encore trop fort, pour aujourd’hui du moins ? Ce n’est pas de nouveauté que nous avons soif, tous les deux, mais de retour en arrière, au contraire, de régression, d’arrêt sur des images heureuses, qui pourtant nous ravagent. Pas d’issue. Le téléphone n’a pas sonné du tout, cette fois. C’est de nouveau la nuit. Deuxième nuit blanche. Continuer, continuer, surtout ne pas laisser la réalité de la douleur s’échapper de ce lacis de mots où nous essayons de l’enserrer, le regret subvertir ce glacis de phrases que nous tâchons d’opposer à son avance, l’humeur noire submerger les paragraphes qui s’éreintent et s’érigent à la contenir. Il suffit de ne pas relâcher un seul instant la maniaque emprise de la ligne, des caractères qu’elle met en bon ordre, de la main qui les accouche. Rester coûte que coûte à la table, puisque le lit ne voudrait de nous, de toute façon, que pour nous tordre et nous tourner et retourner, et nous torturer de questions, lui aussi, de suggestions impraticables, de reconstitutions hallucinées et de ressassements impuissants. Si ce remède de cheval allait être pire que le mal, pourtant ?

Renaud Camus, Le lac de Caresse, P.O.L., pp. 36-37.

Élisabeth Mazeron, 7 fév. 2009
malaise

Je m’étais beaucoup langui d’elle pendant les trois décennies qui venaient de s’écouler, et, si je voulais conserver des chances de ne pas la perdre de vue, il fallait que je m’incruste coûte que coûte à l’intérieur de ce rêve et que je l’attende. C’était un de ces songes où rien de vraiment effrayant ne se produit, mais où toute minute est vécue avec un fort sentiment de malaise. La ville restait crépusculaire quelle que fût l’heure ; on s’y égarait facilement ; certains quartiers avaient disparu sous le sable, d’autres non. À chaque fois que je regardais ce qui se passait dans la rue, je voyais des oiseaux mourir. Ils descendaient en vol plané, ricochaient sur le bitume avec un bruit pathétique, sans un cri, et, au bout d’un moment, ils cessaient de se débattre.

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 193.

Cécile Carret, 3 oct. 2010
lié

L’étrange était rarement dû à la nature, le hêtre à deux troncs poussés l’un dans l’autre dans la forêt proche ou les racines d’un autre hêtre qui formaient un siège exactement adapté à ma taille ne me surprenaient pas. Mais l’étrange qui vous creusait le dos et forçait à redresser les épaules était presque toujours lié à quelqu’un ou à quelque chose ; ainsi, l’escarpolette installée entre les deux chambres d’enfants au linteau laqué de blanc de la porte de séparation me paraissait le sommet du grotesque. On imaginait l’enfant assis sur sa planchette et qui venait se cogner la tête au plafond. Rien de plus absurde que cet objet du dehors qu’on retrouvait, tout à coup, dedans, cela me faisait autant frémir, d’une espèce de gêne physique, qu’une bicyclette sur un balcon ou qu’un cintre accroché à une fenêtre.

Georges-Arthur Goldschmidt, La traversée des fleuves. Autobiographie, Seuil, p. 83.

Cécile Carret, 10 juil. 2011
tous

Je me souviens aussi de ce slogan : « Seul un enfant qui vient de naître est pur. » Qui donc est pur ? Le nourrisson qui cherche le sein de sa mère ? Le petit garçon au visage flou, à sa droite, qui regarde le photographe ? Ou le jeune homme qui entre dans la salle de banquet ? Ce jeune homme souriant marche vers nous. Son nom de guerre est Duch. Nous étions tous impurs et nous l’avons payé.

Rithy Panh, L’élimination, Grasset, p. 89.

Cécile Carret, 7 fév. 2012
impossible

Être l’amant d’une fille de ferme, d’une petite serveuse de café, d’une ouvrière, qui rentre le soir vannée. On lui a préparé son repas. On la caresse doucement. On l’aime. Est-ce impossible ?

Georges Perros, Papiers collés (3), Gallimard, p. 58.

David Farreny, 24 mars 2012
frelaté

Le thème de l’écrivain authentique, ce sont ses problèmes ; celui de l’écrivain frelaté, ceux de ses lecteurs.

Nicolás Gómez Dávila, Scolies à un texte implicite (2), p. 308.

David Farreny, 26 mai 2015

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