rien

Celui qui n’a rien n’est pas content.

Stéphane Mallarmé, « Thèmes anglais », Œuvres complètes, Gallimard, p. 1101.

David Farreny, 23 mars 2002
évanoui

Une poche me brasse. Pas de fond. Pas de portes, et moi comme un long boa égaré. J’ai perdu même mes ennemis.

Oh espace, espace abstrait.

Calme, calme qui roule des trains. Calme monumentalement vide. Plus de pointe. Quille poussée. Quille bercée.

Évanoui à la terre…

Henri Michaux, « Face aux verrous », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 490.

David Farreny, 4 mars 2008
cour

Tu es la cave fermée

au sol de terre battue,

où l’enfant est entré

une fois, les pieds nus,

et sans cesse il y pense.

Tu es la chambre sombre

qu’on évoque sans cesse,

comme l’ancienne cour

où l’aube se levait.

Cesare Pavese, La mort viendra et elle aura tes yeux, Gallimard, pp. 194-195.

David Farreny, 2 sept. 2008
passerelles

Or la puissance du désir est telle, et les ressources de l’imagination qui la soutiennent sont si considérables que quatre ou cinq mois d’une attente ainsi nourrie étaient aussi riches, aussi pleins de sentiments variés que si celui qui m’occupait l’esprit avait effectivement partagé ma vie pendant cette période. Voilà pourquoi celui qui attend longtemps ne se décourage pas. Sans qu’il soit fou, sans qu’il confonde ses rêves avec la réalité, son obsession leur donne une consistance qui en fait des passerelles solides entre les événements réellement vécus, tandis que bien souvent ce sont ces événements qui, par leur brièveté, ou par la déception qu’ils causent, pourraient n’avoir été que rêvés.

Catherine Millet, Jour de souffrance, Flammarion, pp. 68-69.

Élisabeth Mazeron, 12 mars 2009
méditer

Il faut de moins en moins écrire et bientôt ne plus écrire du tout. L’écriture est contraire à la méditation. Ta paresse à méditer s’appuie sur ce que tu comptes te délivrer à demi en écrivant.

Pierre Drieu La Rochelle, « Journal 1944-1945 : 8 janvier », Récit secret. Journal 1944-1945. Exorde, Gallimard, p. 74.

Élisabeth Mazeron, 20 juin 2009
attentionné

Qu’est-ce que je fais là ? Si ces nobles artistes se sont donné beaucoup de mal pour que ces chapelles et ces églises soient belles, ce n’était pas afin qu’elles soient vues à la va-vite, comme ça, par des touristes pressés, qui viennent d’une autre basilique et vont courir vers un autre transept, un autre presbiterio, une autre sacrestia ; c’est pour que des gens qui venaient là tous les jours, ou toutes les semaines, y éprouvent un sentiment de beauté, de bien-être, de fierté, de vanité peut-être, de profond accord entre leur présence en de tels lieux et la dignité de leur foi, de l’art, de leur propre personne. Oui, ce morceau de frise romaine est magnifique, sur ces grosses colonnes de granit ; oui, ce monument funèbre de comment s’appelle-t-il, Michelangelo Senese, ne manque pas de majesté (glacée) ; oui, surtout, ces mosaïques de la calotte de l’abside sont d’une fraîcheur et d’une somptuosité rares. Oui, oui, oui. Mais ce sont des détails. Même cette immense composition de Cavallini est un détail. Or ils ne me disent pas grand-chose, si je suis sincère. Tout cela finit par s’annuler réciproquement. J’ai besoin d’air, de lumière, d’un peu de chaleur, d’amour probablement. Qu’est-ce que j’aime vraiment, à Rome, au fond, mis à part quelques tableaux ? Des lieux ouverts, où les ruines, les arbres et l’espace se mélangent : les jardins Farnèse, au sommet du Palatin ; le sommet du Capitole ; la petite maison précairement installée au sommet du marché de Trajan ; les jardins de la villa Doria-Pamphili ; des places, le Campidoglio, le Quirinal, Navone ; le torse du Belvédère, le Galate mourant, la Louve ; la villa Médicis, sa loggia, son bosco, ses allées de buis, ma maison, ma chambre ; ce que j’aime le plus, par un hasard attentionné, c’est ma chambre.

Renaud Camus, « jeudi 19 février 1987 », Vigiles. Journal 1987, P.O.L., pp. 65-66.

David Farreny, 9 oct. 2010
mer

Cependant le médecin-major, quand ils sortirent du tunnel dans un virage, tendit son index bagué de cornaline dans la lumière du soleil, et dit : « La voilà. »

Où ça ? Elle était là, en dessous de lui, devant lui, elle était vraiment là, c’était la mer, la mer elle-même, calme et bleue, telle qu’il l’avait vue sur la carte murale de l’école primaire. Seulement un petit coin de mer, le golfe de Fiume, un petit pan du Quartnéro. La bouche ouverte, il la fixait. Mais il ne put même pas jouir de son émerveillement, elle avait déjà disparu. La mer jouait à cache-cache avec lui.

C’est plus tard qu’elle se déploya devant lui, longtemps après, dans sa paisible majesté.

Il ne l’avait pas rêvée plus belle ni plus vaste. Elle l’était bien d’avantage qu’il ne l’avait imaginé jadis. Un bleu lisse, infini, dessus les barques, coquilles de noix ébréchées et voiles blanches, oranges, noires, basculant de biais comme des ailes de papillon exténués venus se poser sur le miroir de l’eau pour y boire. Il n’entendait pas le murmure des vagues. Il ne les voyait pas retomber. Les bateaux eux-mêmes ne bougeaient pas plus vite que ses propres jouets d’autrefois, que sa main d’enfant tirait en tous sens dans une cuvette. Pourtant elle était solennelle, elle était gigantesque, dans son unique, son antique auréole de millénaires.

Dezsö Kosztolányi, Kornél Esti, Cambourakis, p. 68.

Cécile Carret, 26 août 2012
celles

Inévitablement, on ne suit que celles qui s’éloignent.

Petr Král, Cahiers de Paris, Flammarion, p. 201.

David Farreny, 2 avr. 2013
veille

Enfoui dans la nuit. Être enfoui tout entier dans la nuit, comme il arrive quelquefois qu’on enfouisse la tête pour réfléchir. Tout à l’entour, les hommes dorment. C’est une petite comédie qu’ils se donnent, une innocente illusion, de penser qu’ils dorment dans des maisons, dans des lits solides, sous des toits solides, étendus ou blottis sur des matelas, dans des draps, sous des couvertures ; en réalité, ils se sont retrouvés comme jadis, et comme plus tard, dans une contrée déserte, un camp en plein vent, un nombre d’hommes incommensurable, une armée, un peuple, sous le ciel froid, sur la terre froide ; chacun s’est jeté sur le sol là où il était, le front pressé sur le bras, le visage tourné vers la terre, respirant paisiblement. Et toi, tu veilles, tu es un des veilleurs, tu découvres le prochain veilleur en agitant le tison enflammé que tu prends au tas de brindilles, près de toi. Pourquoi veilles-tu ? Il faut que quelqu’un veille, dit-on. Il faut quelqu’un.

Franz Kafka, « Nocturne », Œuvres complètes (2), Gallimard, pp. 569-570.

David Farreny, 7 août 2013
au-delà

Il n’y a que dans les rêves des vivants dont ils furent proches que les morts réellement réapparaissent et peuvent même connaître de nouvelles aventures. Nous dormons pour que vivent les morts. La nuit, ces fantômes s’incarnent dans nos corps. C’est en vérité cela, l’au-delà.

Éric Chevillard, « vendredi 5 septembre 2014 », L’autofictif. 🔗

Cécile Carret, 12 sept. 2014

mot(s) :

auteur :

rechercher 🔍fermer