triviale

J’ai entrepris de rédiger ce Journal tout simplement comme expédient, moyen de sauvetage, de peur de déchoir et de sombrer définitivement dans les flots de la vie triviale qui déjà m’arrivent jusqu’aux lèvres. Mais il apparaît que même sur ce terrain je ne suis plus capable d’un effort complet. Oui, on ne saurait être un zéro, un néant toute la semaine et se mettre à exister soudain le dimanche.

Witold Gombrowicz, Journal (1), Gallimard, p. 85.

David Farreny, 24 mars 2002
calcaire

Être en surplomb d’un chiot, toujours spontanément joueur, avec la décision ferme de l’abattre en visant la boîte crânienne ou la colonne vertébrale, il semble qu’il y ait alors une hésitation générale. Peut-être est-ce l’idée d’abréger une croissance ou le sentiment de détruire le chien lorsqu’il est encore inoffensif, tuer un chiot de ses propres mains peu s’y risquent. Déjà y songer ; personne n’y songe. Le chiot est trop dépourvu de défenses, il vomira un paquet de sang au premier choc qui devrait être fatal, tant il n’est encore que masse cartilagineuse, mal abrité dans un calcaire incertain, l’énergie manque pour se diriger vers lui.

Bernard Lamarche-Vadel, Vétérinaires, Gallimard, pp. 62-63.

David Farreny, 3 déc. 2002
beaucoup

Moi, pas inquiet, je continuais à « être ». Sans plus. C’était beaucoup.

Henri Michaux, « Connaissance par les gouffres », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 21.

David Farreny, 21 oct. 2005
sensibilité

Lorsque je sors, une averse est tombée. Les rues mouillées brillent sous un rayon de soleil, ce qui m’a toujours été désagréable sans que j’en devine la raison. Ce doit être que, soucieux, exagérément, de l’état du ciel et désireux, à l’excès, de constance, d’unité, je me trouve dans le cas de passer brutalement des dispositions assorties à la pluie à celles, opposées, que m’impose le soleil. Ou plutôt, l’éclat du soleil dans la pluie me met dans un état contradictoire, qui m’est pénible. J’aimerais parfois posséder la sensibilité d’un concombre, sur certains points, du moins.

Pierre Bergounioux, « mercredi 30 mars 1988 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, pp. 680-681.

David Farreny, 20 avr. 2006
paternité

Enfin, est-ce nous qui créons la forme ou est-ce elle qui nous crée ? Nous avons l’impression de construire. Illusion : nous sommes en même temps construits par notre construction. Ce que vous avez écrit vous dicte la suite, l’œuvre ne naît pas de vous, vous vouliez écrire une chose et vous en avez écrit une autre tout à fait différente. Les parties ont un penchant pour le tout, chacune d’elles vise le tout en cachette, tend à s’arrondir, cherche des compléments, désire un ensemble à son image et à sa ressemblance. Dans l’océan déchaîné des phénomènes, notre esprit isole une partie, par exemple une oreille ou un pied, et dès le début de l’œuvre cette oreille ou ce pied vient sous notre plume et nous ne pouvons plus nous en débarrasser, nous continuons en fonction de cette partie, c’est elle qui nous dicte les autres éléments. Nous nous enroulons autour d’une partie comme le lierre autour du chêne, notre début appelle la fin et la fin le début, le milieu se créant comme il peut entre les deux. L’impossibilité absolue de créer la totalité caractérise l’âme humaine. Pourquoi donc commencer par telle ou telle partie qui nous est née sans nous ressembler, comme si mille étalons fougueux avaient visité la mère de notre enfant ? Ah, c’est seulement pour préserver les apparences de notre paternité que nous devons de toutes nos forces nous rendre semblables à notre œuvre puisqu’elle ne veut pas se rendre semblable à nous.

Witold Gombrowicz, Ferdydurke, Gallimard, p. 107.

Cécile Carret, 13 mai 2007
produite

Dictionnaire : Cambouis, graisse ou huile noircie par le frottement de pièces mécaniques. Étonnant : le mot, d’origine italienne, date de 1398. Une sorte d’encre, assez sale, grasse, produite par l’activité de travail. Ça devrait aller.

Antoine Émaz, Lichen, encore, Rehauts, p. 15.

Cécile Carret, 4 mars 2010
engendrement

À la lumière, par conséquent, fait défaut l’unité concrète avec soi que la conscience de soi possède en tant que point infini de l’être-pour-soi ; et c’est pourquoi la lumière est seulement une manifestation de la nature, non pas de l’esprit. C’est pourquoi, deuxièmement, cette manifestation abstraite est en même temps spatiale, absolue expansion de l’espace, et non pas la reprise de cette expansion dans le point d’unité de la subjectivité infinie. La lumière est dispersion spatiale infinie, ou, bien plutôt, infini engendrement de l’espace.

Georg Wilhelm Friedrich Hegel, « Des manières de considérer la nature (additions) », Encyclopédie des sciences philosophiques, II. Philosophie de la nature, Vrin, p. 394.

David Farreny, 28 fév. 2011
grand’chose

Et c’est en somme une façon comme une autre de résoudre le problème de l’existence, qu’approcher suffisamment les choses et les personnes qui nous ont paru de loin belles et mystérieuses, pour nous rendre compte qu’elles sont sans mystère et sans beauté ; c’est une des hygiènes entre lesquelles on peut opter, une hygiène qui n’est peut-être pas très recommandable, mais elle nous donne un certain calme pour passer la vie, et aussi — comme elle permet de ne rien regretter, en nous persuadant que nous avons atteint le meilleur, et que le meilleur n’était pas grand’chose — pour nous résigner à la mort.

Marcel Proust, « À l’ombre des jeunes filles en fleurs », À la recherche du temps perdu (I), Gallimard, p. 948.

David Farreny, 31 juil. 2013
devant

À l’instant où je mourrai, au terme de quatre-vingt-dix-sept années d’existence, naîtra un virevoltant et allègre éphémère qui aura la journée devant lui.

Éric Chevillard, « mercredi 23 janvier 2019 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 1er mars 2024

mot(s) :

auteur :

rechercher 🔍fermer