préférez

Parfois on rencontre un immense précipice, mais au-dessus il y a un peu de terre, sur quoi même on bâtit. À Quito, il y a ainsi deux longues quebradas, six mètres de terre superficielle et trente mètres de précipice. Quand il pleut on arrête les tramways et on regarde la terre qui plie. Ça tiendra peut-être encore quelque temps.

Parfois dans une rue, vous entendez un bruit lointain mais net d’eau furieuse ! Vous ne voyez d’abord rien. Vous êtes près d’un petit trou. Machinalement vous prenez un petit caillou et vous le lancez. Il faut, pour entendre le bruit, tellement de secondes que vous préférez partir. Vous vous sentez pris par le dessous, tous vos pas auscultent, vous murmurez en vous d’un ton terne et bête :

Le plancher des vaches… le plancher des vaches…

Henri Michaux, « Ecuador », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 186.

David Farreny, 23 mars 2002
inexistence

La quantité de vide que j’ai accumulée, tout en conservant mon statut d’individu ! Le miracle de n’avoir pas éclaté sous le poids de tant d’inexistence !

Emil Cioran, « Aveux et anathèmes », Œuvres, Gallimard, p. 1722.

Élisabeth Mazeron, 4 juil. 2005
essuient

Quand les Hollandais essuient un coup de vent en haute mer, ils se retirent dans l’intérieur du navire, ferment les écoutilles et boivent du punch, laissant un chien sur le pont pour aboyer à la tempête ; le danger passé, on renvoie Fidèle à sa niche au fond de la cale, et le capitaine revient jouir du beau temps sur le gaillard. J’ai été le chien hollandais du vaisseau de la légitimité.

François-René, vicomte de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe (1), Le livre de poche, p. 245.

Guillaume Colnot, 17 mai 2007
gélif

Autre chose. Le « brasier », dont Brive est bâtie, n’est pas, comme je croyais, d’origine permo-carbonifère mais triasique. Mouret insiste sur la médiocrité de ce matériau, gélif, pulvérulent, impropre à livrer des arêtes vives. C’est pourquoi les joints de mortier débordent sur les moellons.

Pierre Bergounioux, « mardi 3 août 1999 », Carnet de notes (1991-2000), Verdier, p. 1095.

David Farreny, 27 déc. 2007
programme

C’est déjà un tel programme une femme aimée dans une vie d’homme.

Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 169.

David Farreny, 11 mars 2008
tendance

Entre la mémoire aux aguets et le culte des exceptions, allez vous y retrouver pour être, à tout coup, tendance ! Un jour vigilant, le lendemain politiquement incorrect, passant sans crier gare de l’antifascisme ombrageux au dandysme dédaigneux, le pouvoir spirituel de notre temps semble décidément bien frivole et versatile. il y a pourtant une continuité dans cette inconséquence : celle du Tribunal qu’il incarne et des procès qu’il ne cesse d’intenter en s’abreuvant à ces deux sources intarissables de la persécution : l’amour de l’humanité et le mépris des gens.

Alain Finkielkraut, « Tendance », L’imparfait du présent, Gallimard, pp. 262-263.

Élisabeth Mazeron, 9 janv. 2010
bec

Il les mesurait du bec à la queue et d’une pointe de l’aile à l’autre. Quand les chiffres avaient un caractère vraiment anormal, il lâchait l’oiseau avec une brève exclamation de dégoût et il levait la tête, et nos yeux se croisaient, essayant de lancer un dialogue qui ne prenait pas.

Avec Tchinguiz Black j’avais en commun les années de camp, un intérêt inabouti pour l’ornithologie, une physionomie sinistre et aussi ces deux femmes, Sophie Gironde et Patricia Yashree, et la peur d’avoir perdu l’une d’elle à jamais, et une opinion négative sur le film Avant Schlumm ; mais nous ne savions plus parler ensemble ni garder ensemble la bouche close.

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 196.

Cécile Carret, 3 oct. 2010
mécanismes

Un noir à se crever le tympan à force d’écouter. Il était souvent obligé de se lever. Pas d’autre bruit que le vent dans les arbres dépouillés et noircis. Il se levait et titubait dans cette froide obscurité autiste, les bras tendus devant lui pour trouver son équilibre tandis que les mécanismes vestibulaires faisaient leurs calculs dans son crâne. Une vieille histoire. Trouver la station verticale. Aucune chute qui ne soit précédée d’une inclinaison. Il entrait à grandes enjambées dans le néant, comptant les pas pour être sûr de pouvoir revenir. Yeux fermés, bras godillant. Verticale par rapport à quoi ? Une chose sans nom dans la nuit, filon ou matrice. Dont ils étaient lui et les étoiles un satellite commun. Comme le grand pendule dans sa rotonde transcrivant tout au long du jour les mouvements de l’univers dont on peut dire qu’il ne sait rien et qu’il doit connaître pourtant.

Cormac McCarthy, La route, L’Olivier, p. 29.

David Farreny, 18 mai 2011
amont

À ce goût immodéré des spéculations sur l’origine, je reconnais d’ailleurs que je ne suis pas un vrai romancier, plus intéressé celui-ci par la fiction de l’avenir, par l’imbroglio des péripéties conçues pour être dénouées ; le roman, tendu vers la fin, obéissant au principe de réalité funeste qui ordonne déjà nos existences.

Je préfère creuser en amont, remonter vers la source, le risque est moindre d’y rencontrer la mort. Des éclosions, au contraire, des épiphanies, des naissances. L’espoir même ne serait-il pas plutôt de côté-là du temps ? Tous ces petits œufs qui se fendillent !

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 64.

Cécile Carret, 10 fév. 2014
applaudit

On applaudit quand ça s’arrête.

Éric Chevillard, « dimanche 8 novembre 2015 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 28 fév. 2016
imaginer

Je n’ose imaginer ce qui me serait arrivé si je n’avais pas été là pour prendre la fuite !

Éric Chevillard, « jeudi 13 juin 2019 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 6 mars 2024

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