cosmos

Une vie limitée. Locale. On vit de ce que le jour apporte. Personne ne regarde autour de soi, chacun regarde son propre sentier défiler sous ses pieds. Travail. Famille. Gestes. Vivre tant bien que mal… Concrètement.

C’est fatigant et attirant à la fois… Ah, j’aspire tellement à cette limitation ! J’en ai déjà assez du cosmos.

[…] Je prends note de ce désir en moi. Aujourd’hui, à Tandil.

Witold Gombrowicz, Journal (1), Gallimard, pp. 584-585.

David Farreny, 20 mars 2002
restes

Les deux hommes continuent à parler. Parler ! C’est d’avoir parlé qu’il reste partout des constructions, des constructions embarrassantes, inutiles, devenues énormes, cyclopéennes, de plus en plus inutiles, sans emploi, par l’adjonction de nouvelles paroles, de nouveaux parleurs… qui toujours laissent des restes.

Henri Michaux, « En rêvant à partir de peintures énigmatiques », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 699.

David Farreny, 15 juin 2006
reflètent

Mardi – Les vitres teintées de l’immeuble de bureaux A reflètent les vitres teintées de l’immeuble de bureaux B. Les employés de l’immeuble A se regardent-ils travailler dans le reflet tendu ? Le métro aérien trouble-t-il les sosies qu’il sépare ? Subtil décalage des passagers inattentifs, bientôt assis et attablés de même.

Anne Savelli, Fenêtres. Open space, Le mot et le reste, p. 13.

Cécile Carret, 21 juil. 2008
espérance

Pourquoi ne pouvons-nous pas tout arrêter, nous rendre invisible, inaudible, saborder tout contact avec le siècle ? À cause de l’absurde espérance, bien sûr : elle nous force à maintenir ouverts les canaux qui nous relient à lui ; car le départ est impossible à faire, en eux, de ce qui ne peut que nous importuner affreusement, la bureaucratie d’exister, tellement paperassière, elle aussi, tatillonne, dure d’oreille, et du miracle qui nous rendrait la paix. Aussi sommes-nous forcés de laisser tourner les machines d’être au monde, mais à leur régime le plus doux, le plus simple. Toute phrase est encore trop : ce qu’écrivant je parle nécessaire d’un autre, de l’autre, puisque je ne cesse, pour ma part, d’en sécréter sans y penser, comme on voit.

Renaud Camus, Le lac de Caresse, P.O.L., pp. 34-35.

Élisabeth Mazeron, 7 fév. 2009
aaaah

« Aaaah ! », et soudain elle fut là, un gong de cuivre, très bas dans l’éther : la lune en éclipse. Au-dessus de maigres pins veufs. Quelques buts de football, comble de l’autisme, trônaient sur le terrain. Elle regarda et prononça docilement le mot qu’il fallait : « Oppolzer ! ». « Oppolzer », repris-je en serrant plus fort l’os de son bras ; avec toutes les métaphores que j’ai déjà inventées pour désigner la lune, ce ne serait que justice si on donnait mon nom à un de ses cratères !

Arno Schmidt, « Sortie scolaire », Histoires, Tristram, p. 142.

Cécile Carret, 2 déc. 2009
travaillant

Hier soir, pour finir l’année, la Spanische Reitschule de Vienne. En harnachement, tapis de selle brodés, Saumur n’en approche pas. Tout mon passé de cavalier réapparaît : de l’École, j’ai appris le buste droit, les coudes au corps, la main immobile sur le garrot ; mais je n’ai jamais su jouer des reins comme ces écuyers, les doigts travaillant la rêne, comme les flûtistes des trous de leur instrument. La beauté de marbre blanc des lippizans, leur œil intelligent et confiant, ce sang oriental, où on sent le Turc, si près de Vienne aux XVIIe et XVIIIe, me touche, c’est le cas de le dire, aux larmes. Je pleure comme un veau, sur ma vie de cavalier défunte ; je retrouve les appuyers, le plaisir de sentir le cheval bien passer sa jambe sur l’autre, se pencher, couler dès qu’on ouvre l’écluse, dès qu’on cesse de le maintenir sous la pression de la botte. […]

Je me suis endormi, hier soir, brisé par le chagrin, l’amour du cheval (si souvent dans mes rêves), le regret de ma déchéance, ridicule réaction, pour une vraie douleur, c’est trop.

Paul Morand, « 1er janvier 1973 », Journal inutile (2), Gallimard, pp. 9-10.

David Farreny, 7 août 2010
air

Il y a bien quelque chose dans les magasins, mais ils ont tous l’air de vendre le même article : de petits paquets mal emballés d’un gros papier triste ; ils ont tous l’air de vendre des clous. Dans la vitrine d’une modiste, posés sur trois piquets, trois petits chapeaux de paille, rose, vert, bleu, tragiquement démodés, attendent et s’empoussièrent tout doucement.

Qui donc en voudrait ?

Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 44.

Cécile Carret, 18 juin 2012
goût

Il y a dans l’art un point de perfection, comme de bonté ou de maturité dans la nature : celui qui le sent et qui l’aime a le goût parfait ; celui qui ne le sent pas, et qui aime en deçà ou au delà, a le goût défectueux. Il y a donc un bon et un mauvais goût, et l’on dispute des goûts avec fondement.

Jean de La Bruyère, « Les caractères ou les mœurs de ce siècle », Œuvres complètes (1), Henri Plon, p. 205.

Guillaume Colnot, 27 fév. 2013
relatives

Monsieur Songe est né méditatif. Il intervertit les images ou les confond suivant les yeux qu’il ouvre, ceux du dehors ou ceux du dedans. D’où les invraisemblances relatives aux paysages qui lui sont familiers.

Une aquarelle très fluide pour suggérer les illusions de la mémoire.

Cette minute présente.

Robert Pinget, Monsieur Songe, Minuit, p. 27.

Cécile Carret, 7 déc. 2013
rames

Nombre de librairies, dans l’espoir de survivre à la crise, ouvrent un rayon papeterie, stratégie suicidaire, me semble-t-il, puisque tous ces carnets, ces cahiers et ces rames de feuilles leur reviendront bientôt sous la forme de livres invendables.

Éric Chevillard, « lundi 7 juillet 2014 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 7 juil. 2014
va

Le temps passe. Nous le croisons. Il va d’un pas pressé répandre nos cendres dans le passé.

Éric Chevillard, « vendredi 18 juillet 2014 », L’autofictif. 🔗

Cécile Carret, 12 sept. 2014
post-it

Puis nous levons le nez et il nous apparaît que tout notre avenir tient sur quelques post-it collés sur un mur.

Éric Chevillard, « lundi 26 mai 2014 », L’autofictif. 🔗

Cécile Carret, 13 sept. 2014
surdité

Qui peut écrire comme ça, aujourd’hui, sachant que le théâtre des opérations est devenu quasi insignifiant, notamment sur le plan de la langue ? La perte du sentiment de la langue, quoi qu’on en dise, produit une déperdition littéraire : la surdité est culturelle, l’aveuglement, idéologique.

Richard Millet, « 25 décembre 1999 », Journal (1995-1999), Léo Scheer.

David Farreny, 24 avr. 2024

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