altération

Ainsi naît le type de l’étudiant moderne (« Alors, tu passes ton exam ? »), un être brave, honnête, utile, mais pâle… pâle comme la lune qui n’a par elle-même ni lumière ni chaleur mais reflète une autre lumière, terrible et inconcevable. Un être encore vivant peut-être, mais d’une vie affaiblie et comme vouée à l’altération.

Witold Gombrowicz, Journal (2), Gallimard, p. 162.

David Farreny, 20 mars 2002
personnage

Pendant deux ou trois heures, j’ai eu le sentiment d’être et de ne pas être celui auquel on s’adressait. Non seulement parce que je jouais un personnage, ce qui nous arrive à tous chaque jour et qui est mon sport favori depuis quelques temps, mais parce que je me disais, au moment même où je dégoisais mes mensonges à propos de mon déménagement, de mes projets d’avenir et de mes vacances prochaines dans ma famille, que je n’étais rien d’autre que ce personnage. Je mentais, c’est sûr, mais, derrière mes mensonges, il n’y avait rien.

Marc Augé, Journal d’un S.D.F. Ethnofiction, Seuil, p. 76.

Cécile Carret, 27 fév. 2011
topique

Mais le voyageur solitaire est un diable, et n’a droit qu’aux plus mauvaises chambres : en l’occurrence celles qui donnent sur la route qui monte au tunnel du Mont-Blanc. C’est un vacarme infernal de camions qui peinent. Je n’ai d’espoir qu’en ma fatigue.

Il faut bien le dire, Verceil craint. Y avoir vingt ans sans paradis artificiels doit être à mourir. Mais y avoir quarante ans un seul soir m’a plu, ce qui prouve bien ma perversion (topique).

Renaud Camus, « dimanche 21 décembre 1986 », Journal romain (1985-1986), P.O.L., p. 554.

David Farreny, 19 avr. 2011
ravagées

Si après six mois de séjour en Inde on commence à regarder les petites filles plus souvent qu’on voudrait, c’est qu’à vingt ou vingt-deux ans la plupart des femmes sont ravagées, édentées, déformées, avec ces visages gonflés et aussi effacés – d’avoir accepté sans les comprendre une série d’événements désagréables se succédant tellement vite (les enfants, ces gros fruits exigeants, si vite mûrs et si vite abîmés) que l’esprit, renonçant à suivre, renonçant à vivre, les avait quittées pour toujours.

Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 100.

Cécile Carret, 28 juin 2012
copeaux

Des copeaux recouvrent le sol, boucles ondulées, aériennes, ce sont les cheveux crépus de la planche, dirait-on, les rêves feuillus de l’arbre mort.

Dezsö Kosztolányi, Portraits, La Baconnière, p. 71.

Cécile Carret, 12 juin 2013
film

Les grands moments d’une vie, les beaux, les forts, tiendraient sur une alléchante bande-annonce. Mais il faut se taper tout le film.

Éric Chevillard, « jeudi 19 juillet 2018 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 27 fév. 2024
avance

« Toute grande passion débouche sur l’infini », écrit quelque part Michel Houellebecq. C’est ce que je ressens le plus souvent en écoutant Jean-Sébastien Bach. Il y a tant de passion (à tous les sens de ce terme) dans sa musique, mais c’est une passion délivrée de l’hystérie et de la vanité ! Le contrepoint, porté à cette hauteur, avec cette exigence, c’est une irrésistible avancée dans la connaissance. Chacune des voix de la fugue semble nous dire : avance, avance encore, avance toujours, et tu sauras. Les voix d’une fugue sont autant des voix qui parlent que des voix qui écoutent, qui écoutent jusqu’à l’infini. Les mains se meuvent à peine, il n’y a aucune de ces extravagances de la musique romantique, pas de virtuosité au sens d’acrobatie, de saut, de déplacement, les bras restent sagement près du corps, le son provient d’une corde à peine frappée, les notes durent exactement ce qu’il faut, le piano se fait chanteur, ou plutôt souffles, il énonce, pas à pas, note après note, et il s’efface autant qu’il peut devant la nécessité et la continuité du chant, il tient la « corde de récitation ». Ça crée de l’harmonie, des harmonies ? Elle est presque superfétatoire, elles sont presque de trop.

Jérôme Vallet, « À l'aube », Georges de la Fuly. 🔗

David Farreny, 19 mars 2024
concepts

Surchargé de concepts, Bergson peinait dans les montées. Il fit l’acquisition d’une mule puis, sur le conseil d’un fallacieux bourrelier de l’endroit, décida de troquer son « élan vital » contre une sellette en cuir munie de courroies afin d’y attacher ses autres concepts (intuition, durée, etc.) et une large gourde en peau.

Olivier Pivert, « Adieu, élan vital », Encyclopédie du Rien. 🔗

David Farreny, 14 mai 2024

mot(s) :

auteur :

rechercher 🔍fermer