bonheur

Je sens que la nuit va être pénible, et dur le matin. Les murs ici sont en papier. Une voisine anglaise rit de bonheur chaque fois qu’elle ne tousse pas. Ma porte ferme mal. Elle est juste en face de l’escalier. On entendait tout à l’heure toutes les conversations du hall, et on les entendra dès sept heures du matin ; mais à ce moment-là, les camions qui tournent sous ma fenêtre, au sommet de la côte, m’auront déjà réveillé, si je suis arrivé à m’endormir ; etc., etc.

Je dois retrouver demain soir Dennis à Avallon.

Renaud Camus, « vendredi 18 avril 1980 », Journal d’un voyage en France, Hachette/P.O.L., p. 52.

David Farreny, 30 juil. 2005
voici

Ma vie est faite. Voici l’ubac.

Pierre Bergounioux, « jeudi 25 mai 1989 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 795.

David Farreny, 20 avr. 2006
constructions

Dans le visage un œil qui n’existe plus, comme bu par un buvard. Il en reste le pli. Œil qui a renoncé à être, ne trouvant au-dehors rien à sa convenance.

L’autre, fermé par une large et pesante paupière semble bien déterminé à ne pas se relever.

Un être a baissé ses volets.

Douloureuse, la bouche amère exprime assez que ce n’est pas pour rêver à des fleurs ou à des charmes que l’œil a été refermé si décisivement, ni pour contempler d’intéressantes constructions du subconscient, mais pour seulement rester cantonné en sa misère, à l’abri dans sa misère, où il y a annulation de tout, mélancolie exceptée.

Henri Michaux, « Chemins cherchés, chemins perdus, transgressions », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 1173.

David Farreny, 3 mars 2008
compliquée

Le gouvernement romain devenait tous les jours plus odieux à ses sujets accablés, et moins redoutable à ses ennemis. Les taxes se multipliaient avec les malheurs publics ; l’économie était plus négligée à mesure qu’elle devenait plus nécessaire ; l’injustice des riches faisait retomber sur le peuple tout le poids d’un fardeau inégalement partagé, et détournait à leur profit tout l’avantage des décharges qui auraient pu quelquefois soulager sa misère. L’inquisition sévère qui confisquait leurs biens et exposait souvent leurs personnes aux tortures décidait les sujets de Valentinien à préférer la tyrannie moins compliquée des Barbares, à se réfugier dans les bois et dans les montagnes, ou à embrasser l’état avilissant de la domesticité mercenaire. Ils rejetaient avec horreur le nom de citoyen romain, autrefois l’objet de l’ambition générale.

Edward Gibbon, Histoire du déclin et de la chute de l’empire romain d’Occident, Seuil, p. 212.

David Farreny, 13 sept. 2008
détour

Tel est le fond de la triste nature que j’ai touchée en dotation pour le détour par la vie.

Pierre Bergounioux, « dimanche 1er avril 1984 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 294.

Élisabeth Mazeron, 11 nov. 2008
veux

C’est le côté pascalien du Castor : l’univers peut m’écraser mais il ne le sait pas. Et ma victoire sur lui est infinie, parce que je pense, et parce que je veux.

Danièle Sallenave, Castor de guerre, Gallimard, p. 335.

Élisabeth Mazeron, 21 mai 2009
nuance

Fait et défait les scénarios de la vie future. Quelle nuance y a-t-il entre la patience et la réussite ?

Gérard Pesson, « mercredi 20 octobre 1993 », Cran d’arrêt du beau temps. Journal 1991-1998, Van Dieren, p. 118.

David Farreny, 22 mars 2010
origine

Toute photographie est prise depuis l’origine du monde — il s’agit en effet de savoir ce qu’il est devenu. On se glissait d’ailleurs sous la jupe des premiers appareils à trépied pour y voir plus clair.

Éric Chevillard, « lundi 31 décembre 2018 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 1er mars 2024
pérégrination

Seul le cauchemar de l’histoire nous laisse deviner le cauchemar de la transmigration. Avec une réserve cependant. Pour le bouddhiste, la pérégrination d’existence en existence est une terreur dont il veut se dégager ; il s’y emploie de toutes ses forces, effrayé sincèrement par la calamité de renaître et de remourir, qu’il ne songerait pas un instant à savourer en secret. Nulle connivence chez lui avec le malheur, avec les périls qui le guettent du dehors et surtout du dedans.

Nous autres, en revanche, nous pactisons avec ce qui nous menace, nous soignons nos anathèmes, sommes avides de ce qui nous broie, ne renoncerions pour rien à notre cauchemar à nous, auquel nous avons prêté autant de majuscules que nous avons connu d’illusions. Ces illusions se sont discréditées, comme les majuscules, mais le cauchemar reste, décapité et nu, et nous continuons à l’aimer parce qu’il est précisément à nous, et que nous ne voyons pas par quoi le remplacer. C’est comme si un aspirant au nirvāna, las de le poursuivre en vain, s’en détournait pour se rouler, pour s’enfoncer dans le samsāra, en complice de sa déchéance, à peu près comme nous le sommes de la nôtre.

Emil Cioran, « Écartèlement », Œuvres, Gallimard, p. 924.

David Farreny, 7 mars 2024
compagnie

Jour après jour, week-end après week-end, j’enviais secrètement l’aptitude de mes amis à s’amuser ensemble et les méprisais pour ne pas envier mon inaptitude à m’amuser avec eux. Je m’en voulais surtout de mon impuissance à planter là leur ennuyeuse compagnie, effrayé encore et toujours de penser qu’ayant été de trop, je ne manquerais à personne. Mais je sentais venir la rupture.

Frédéric Schiffter, « Je chute, donc je pense », Pensées d'un philosophe sous Prozac, Milan.

David Farreny, 12 mai 2024

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