digéré

L’araignée royale détruit son entourage, par digestion. Et quelle digestion se préoccupe de l’histoire et des relations personnelles du digéré ? Quelle digestion prétend garder tout ça sur des tablettes ?

Henri Michaux, « La vie de l’araignée royale », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 445.

David Farreny, 20 mars 2002
quelqu’un

Colline et arbres fruitiers, et puis, là-bas vers le haut, sous les pommiers, trois épaves de voiture dont une brûlée, que quelqu’un garde.

François Bon, Paysage fer, Verdier, p. 35.

David Farreny, 24 janv. 2003
fers

Angra-dos-Reis, Ubatuba, Parati, São Sebastião, Villa-Bella, autant de points où l’or, les diamants, les topazes et les chrysolithes extraits dans les Minas Gerais, les « mines générales » du royaume, aboutissaient après des semaines de voyage à travers la montagne, transportés à dos de mulet. Quand on cherche la trace de ces pistes au long des espigões, lignes de crêtes, on a peine à évoquer un trafic si important qu’une industrie spéciale vivait de la récupération des fers perdus en route par les bêtes.

Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques, Plon, p. 97.

David Farreny, 29 nov. 2003
réveils

Matins sans peine. Réveils sans âge. On a perdu le compte des rencontres. Les émotions ne se meuvent plus. Le récent engorgeant savoir en une nouvelle paisible ignorance s’est mué. Personne sur le seuil. Mon bassin de retenue est silencieux. J’entends le chant tout simple, le chant de l’existence, réponse informulée aux questions informulées.

Henri Michaux, « Vents et poussières », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 210.

David Farreny, 9 nov. 2005
route

Dans la zone portuaire, passé l’écluse Watier, sur ce segment de route qu’enjambent successivement deux canalisations de gros calibre, et qui s’élève très légèrement, en droite ligne, au milieu de dunes arasées ou de prairies sablonneuses, celles-ci couvertes de fleurs jaunes, on voit juste dans l’axe se préciser peu à peu la silhouette parallélépipédique et rose de la centrale thermique, tout d’abord, flanquée d’une haute cheminée grise, puis de part et d’autre de la centrale, au-dessus du bassin d’évitage, celle des portiques de déchargement du minerai, sur la droite, et de deux grands vraquiers amarrés au quai Sollac, et sur la gauche celle des hauts fourneaux, couronnés de fumées blanches auxquelles parfois des flammes sont mêlées. Au-delà de l’écluse Charles-de-Gaulle, la route se confond sur plusieurs kilomètres avec la digue du Braeck, renflée en son milieu et s’abaissant vers la mer en une courbe assez douce pour que les véhicules puissent y adhérer, penchés de côté comme sur un anneau de vitesse. Depuis la partie la plus élevée de la digue, en ce samedi 9 août, on peut observer que si la mer libre est de la couleur d’un potage, les mêmes eaux, captives du bassin maritime, présentent inexplicablement une nuance de bleu presque égéenne.

Jean Rolin, Terminal frigo, P.O.L., pp. 70-71.

David Farreny, 5 mars 2006
eau

Le voilà mort. Tout le monde connaît la suite. On sait ce qu’il voulut, et ce qui fut fait. Un fleuve coulait là, épais, noir, dans les fonds aux forêts tombées, le Busentin : trois jours toute la Scythie éplorée, furibonde, avec des pelles, des glaives, à pleins boucliers, creusa un bief parallèle au fleuve, dans des nuées de moustiques ; toute cette armée de boue, de langues mêlées, s’enlisa jusqu’aux cuisses, dans ses casques cornus à bout de bras porta de la terre morte, brisa des chênes comme elle l’avait fait des colonnes dans les temples, et de même qu’en brisant des temples chanta des psaumes, pour un grand cadavre qui attendait, la face tournée vers les nuages ; cette armée pour qui rien de ténu ne chanterait plus, mais qui peut-être accomplissait, définitif, son plus haut fait d’armes. Et quand toute l’eau se fut en maugréant engouffrée dans le bief, quand le lit franc du fleuve fut à sec, dans cette boue où des carpes crevaient, où des racines spectrales étaient pour la première et dernière fois surprises par le jour, toute la Scythie descendit là-dedans, pataugeante, geignante et pathétique comme les légions de Germanie ressuscitées retourneraient à leurs tourbières, toute la Scythie fit encore un grand trou, y précipita les trophées pris à Rome, les dieux et les petits objets familiers qui furent chers aux Sabins, à Carthage, aux Grecs, le labarum sous quoi marchait Constantin, sept siècles de victoire, et par là-dessus enfin jeta comme un sac d’or et de pelisse le roi qui s’enfonça doucement dans de gros remous, et, ventre à l’air, disparut soudain sous les carpes. Alors, avec des psaumes accrus comme pour l’assaut final, à grands coups de glaive ou à pleines mains, la Scythie exultante rompit les digues du bief, et toute l’eau du monde, tumultueuse, sourde, passa tout naturellement sur le corps d’un principicule scythe qui avait marché dans Rome en avant des Césars. Sur cette rive je chantai, une fois pour toutes.

Pierre Michon, L’empereur d’Occident, Fata Morgana, p. 45.

David Farreny, 27 fév. 2007
aboutissement

L’histoire est un long chemin broussailleux qui mène jusqu’à nous. L’homme des droits de l’homme se regarde, émerveillé, comme l’aboutissement de l’homme. Et il le fait savoir. Fier, à s’en tambouriner la poitrine, d’avoir vaincu le principe hiérarchique, imbu de sa ferveur antidiscriminatoire, ivre de sa tolérance aux différences, il instruit le procès pour intolérance de toutes les formes de vie et de pensée qui diffèrent des siennes. Sûr que rien d’humain ne lui est étranger, et qu’il est seul dans ce cas, il devient étranger à tout ce qui est humain.

Alain Finkielkraut, « Un présent qui se préfère », L’imparfait du présent, Gallimard, pp. 121-122.

David Farreny, 25 janv. 2010
absence

Ossip Ossipovitch Apraxin / De la petite noblesse du Gouvernement de Toula, / Vous en souvenez-vous, abonnés du théâtre Michel et du Cirque, / Promeneurs de la promenade des Harengs, rue grande Morskaïa, le dimanche ? Peut-être est-ce le dimanche qui fait passage. Où êtes-vous, promeneurs de la promenade des Harengs, et dans quelle cendre valsez-vous ? Pourquoi n’ai-je pas marché parmi vous ? Pourquoi le jour se lève-t-il sans moi sur Valparaiso, sur la place de Raguse, sur Fialta et sur le printemps à Fialta, et se couche-t-il sur la baie de Vigo sans une pensée pour moi ? « Il y eut du bonheur sans moi, aux rives de Coppet » (vérif.). L’absence est le mode le plus répandu de notre rapport au monde.

Renaud Camus, « dimanche 31 mai 1987 », Vigiles. Journal 1987, P.O.L., p. 243.

David Farreny, 5 nov. 2010
épisodes

Jusqu’à quand se poserait-il la question, « c’est quoi les autres ? ». Des agités-isolés, des médecins, des choses avec un débit, un début, une fin, des épisodes.

Dominique de Roux, La jeune fille au ballon rouge, Le Rocher, p. 46.

David Farreny, 13 fév. 2011
aimer

Mais ça n’a rien à voir avec sa jupe. Si, quand même. Pour moi, si. Peu importe, je sais ce que j’aime, sa jupe. Elle aussi, sinon elle l’aurait pas achetée. Donc nous aimons la même jupe. Donc à travers la même jupe nous nous aimons. Donc je l’aime. Tu charries. Non. Une femme comme elle qui aime comme moi une jupe imprimée de fleurs aussi belles est forcément digne, je veux dire destinée à être aimée par un type comme moi. Autrement dit, si j’aime ce qu’elle aime, elle devrait normalement m’aimer.

Christian Gailly, Les fleurs, Minuit, p. 67.

Cécile Carret, 4 mars 2012
certaine

Aime ton prochain comme toi-même : c’est-à-dire avec une certaine honte.

José Camón Aznar, Aphorismes du solitaire.

David Farreny, 6 janv. 2015

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