bistrot

L’homme qui se respecte quitte la vie quand il veut ; les braves gens attendent tous, comme au bistrot, qu’on les mette à la porte.

Ladislav Klima.

David Farreny, 28 mars 2002
raffinement

Pas d’érotisme dans le troupeau, la meute ou l’agencement grégaire. En revanche, toute micro-société intellectuellement constituée le permet. Et la formule inaugurée par le contrat hédoniste constitue ce territoire policé de deux êtres — au moins — soucieux de construire leur sexualité selon l’ordre de leurs caprices raisonnés, grâce au langage habilité à préciser les modalités de ce à quoi on s’engage. Le contrat exige la parole donnée, il nécessite donc un degré de civilisation élaboré, un raffinement certain, sinon un certain raffinement.

Certes cette configuration éthique et esthétique idéale suppose des contractants sur mesure. À savoir : clairs sur leur désir, ni changeants ni ondoyants, pas hésitants, nullement travaillés par la contradiction, ayant résolu leurs problèmes et ne trimbalant pas leur incohérence, leur inconséquence et leur irrationalité en bandoulière. Ce qui caractérise ce genre de personnages ? La trahison permanente de la parole donnée, le changement d’avis et la mémoire sélective, intéressée, le goût pour la tergiversation verbale et verbeuse pour légitimer et justifier leurs volte-face, un talent consommé pour ne pas faire ce qu’ils disent et pour agir à rebours de ce qu’ils annoncent. Avec ce genre de citoyens, aucun contrat n’est possible. Une fois détecté, passer son chemin…

Michel Onfray, La puissance d’exister, Grasset, p. 138.

Élisabeth Mazeron, 15 janv. 2007
tant

Qu’importe d’ailleurs : si on marche, c’est que quoi faire d’autre. Je n’aime pas du tout qu’on m’arrête par le coude, qu’on me demande ce qu’il en est du bonheur : j’en ai ma part, je ne suis pas sûr qu’elle me serve tant.

François Bon, « Ce qu’il en est du bonheur », Tumulte, Fayard, p. 462.

David Farreny, 1er mai 2008
puzzling

La quarantaine, célibataire, enseignante, la Frau Doktor ; et si intelligente que moi, avec mon petit savoir désordonné, vieillot et confus, je me sentais suspect au plus haut point. De plus, ce jour-ci, elle portait sa robe rouge, celle aux points noirs ; qui laissait voir son intéressante silhouette grande et maigre ; et c’était de nouveau à mon tour de raconter une histoire, si bien que malgré l’intimité de notre petit cénacle – la plupart du temps nous étions seuls – j’étais, comme toujours, terriblement gêné ; it’s puzzling work, talking is.

Arno Schmidt, « Histoire racontée sur le dos », Histoires, Tristram, p. 53.

Cécile Carret, 17 nov. 2009
méandra

Rien n’est plus agréable que de discuter auprès d’un feu vif et pétillant de la formation des massifs montagneux qu’on a visités en été ; d’entendre causer de volcans, de planètes fracassées, de pétrifications. Et si d’aventure, on en vient à la paléontologie, il me faut aussitôt faire entrer dans la danse les mammouths et les gigantosaures : imaginez un peu un des Béhémoths qui se promène dans la forêt carbonifère et nourrit sa couvée avec des éléphants, un peu comme nos lézards d’aujourd’hui le font avec les mouches bleues : vive le pittoresque !

Mon regard gêné méandra dans la chambre.

Arno Schmidt, « Histoire raconté sur le dos », Histoires, Tristram, p. 54.

Cécile Carret, 17 nov. 2009
faudrait

Faudrait un sursaut de main, un levier pour soulever cette mélancolie massive, collante, face au monde et à vivre. Repartir du mimosa par exemple qui boule jaune dans mon coin clope au lycée. Ou bien cette nécessité de la révolte pour refuser cette vie – peau de chagrin imposée au plus grand nombre.

Antoine Émaz, Lichen, encore, Rehauts, p. 45.

Cécile Carret, 4 mars 2010
travaille

— Mais moi monsieur, je travaille !

— Bien sûr, que pourriez-vous faire d’autre…

Jean-Pierre Georges, L’éphémère dure toujours, Tarabuste, p. 73.

David Farreny, 27 juin 2010
lové

Enfin je suis chez moi, dans la pénombre, assis sur une chaise, la tête pendante, je sens mes lèvres humides effleurer mes genoux, ce n’est qu’ainsi que je peux faire la sieste. Quelquefois je reste là, enroulé sur moi-même jusqu’à minuit, je me réveille, je lève la tête, à l’endroit des genoux mon pantalon est trempé de salive tant j’étais replié, lové sur moi-même, comme un petit chat l’hiver, comme le bois d’un rocking-chair ; je peux m’offrir le luxe de m’abandonner car je ne suis jamais vraiment abandonné, je suis simplement seul pour pouvoir vivre dans une solitude peuplée de pensées, je suis un peu le Don Quichotte de l’infini et de l’éternité, et l’infini et l’éternité ont sans doute un faible pour les gens comme moi.

Bohumil Hrabal, Une trop bruyante solitude, Robert Laffont, p. 18.

Cécile Carret, 25 avr. 2011
bluffer

Cependant, les jeunes abandonnent ces forêts nourricières à cause des filles qui ne veulent plus vivre dans la solitude ; qui veulent être « sapées » en citadines – vont crever la faim à Clermont-Ferrand et reviennent bluffer le dimanche au pays.

Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 61.

Cécile Carret, 18 juin 2012
saccades

En ne trouvant sa place nulle part, il tourmentait les autres ; les chassait de leur place ou tout au moins la leur rendait invivable. Dès que mon père entrait dans la grande salle, le malaise s’y installait. Se contentait-il d’être debout à la fenêtre que nous autres étions frappés d’une brusquerie qui nous faisait tout faire par saccades.

Peter Handke, Le recommencement, Gallimard, p. 65.

Cécile Carret, 4 août 2013
optimates

À vrai dire, pour créer un tel équilibre, il fallait un esprit aussi libre que l’était frère Othon. Il avait pour principe de traiter les hommes qui nous approchaient comme autant de rares trouvailles découvertes au fil d’un long voyage. Il aimait aussi nommer les hommes les optimates, signifiant par là que tous autant qu’ils sont, ils forment l’aristocratie naturelle de ce monde et que chacun d’eux peut nous apporter l’excellent. Il les concevait comme des réceptacles du merveilleux, et, créatures suprêmes, il leur accordait des droits princiers. Et réellement, je voyais tous ceux qui l’approchaient s’épanouir comme des plantes qui s’éveillent du sommeil hivernal, non point qu’ils devinssent meilleurs, mais parce qu’ils devenaient davantage eux-mêmes.

Ernst Jünger, Sur les falaises de marbre, Gallimard, p. 28.

Cécile Carret, 27 août 2013

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