figure

Beaucoup souhaitent léguer à la postérité, à défaut d’une œuvre, leur propre figure.

Simone de Beauvoir, Pour une morale de l’ambiguïté, Gallimard, p. 90.

David Farreny, 21 mars 2002
ailleurs

J’espère recouvrer ici la paix de l’esprit, — peut-être même accéder à des qualités plus hautes. Je ne sais encore d’où viendra le salut, mais j’irai jusqu’au bout de mon effort, jusqu’aux limites de mon appel ; je ne renoncerai pas.

Et, d’abord, il me faudra apprendre à échapper au pouvoir effrayant des choses. Car je n’ai pas choisi ces coïncidences : mais le fait est que dans mon voisinage, sur trois points différents, se trouvent un cimetière, une prison et une maison de fous. Trois avenues divergentes, de proportions presque grandioses, partent de la place située sous ma fenêtre, et descendent, entre des rangées de marronniers, vers ces trois métropoles de la mort, du crime et de la folie.

Il est vrai, cela fait qu’on respire ici beaucoup plus d’air qu’on n’en respire ailleurs.

Paul Gadenne, La rue profonde, Le Dilettante, p. 199.

Guillaume Colnot, 20 mars 2003
rivière

96. On pourrait se représenter certaines propositions, empiriques de formes, comme solidifiées et fonctionnant comme des conduits pour les propositions empiriques fluides, non solidifiées ; et que cette relation se modifierait avec le temps, des propositions fluides se solidifiant et des propositions durcies se liquéfiant.

97. La mythologie peut se trouver à nouveau prise dans le courant, le lit où coulent les pensées peut se déplacer. Mais je distingue entre le flux de l’eau dans le lit de la rivière et le déplacement de ce dernier ; bien qu’il n’y ait pas entre les deux une division tranchée.

98. Mais si on venait nous dire : « La logique est donc elle aussi une science empirique », on aurait tort. Ce qui est juste, c’est ceci : la même proposition peut être traitée à un moment comme ce qui est à vérifier par l’expérience, à un autre moment comme une règle de la vérification.

99. Et même le bord de cette rivière est fait en partie d’un roc solide qui n’est sujet à aucune modification ou sinon à une modification imperceptible, et il est fait en partie d’un sable que le flot entraîne puis dépose ici et là.

Ludwig Wittgenstein, De la certitude, Gallimard, p. 49.

Guillaume Colnot, 20 mai 2003
découragement

On ne prête pas le flanc au découragement, soudain on est le découragement entier.

François Rosset, L’archipel, Michalon, p. 102.

David Farreny, 5 fév. 2004
elles

Accueille la migraine.

— Bonjour migraine.

Accueille la nausée.

— Bonjour nausée.

Aujourd’hui elles sont là, elles s’adressent à toi.

— Merci, merci, sans vous ma journée eût été banale, vraiment.

Jean-Pierre Georges, L’éphémère dure toujours, Tarabuste, p. 52.

David Farreny, 5 juil. 2009
pellicule

D’où le pouvoir de définition attaché à tous ces canaux hollandais. Il y a là, de toute évidence, un complexe eau-marchandise ; c’est l’eau qui fait l’objet, en lui donnant toutes les nuances d’une mobilité paisible, plane pourrait-on dire, liant des réserves, procédant sans à-coups aux échanges, et faisant de la ville un cadastre de biens agiles. Il faut voir les canaux d’un autre petit peintre, Berckheyde, qui n’a peint à peu près que cette circulation égale de la propriété : tout est pour l’objet voie de procession ; tel point de quai est un reposoir de barils, de bois, de bâches ; l’homme n’a qu’à basculer ou hisser, l’espace, bonne bête, fait le reste, il éloigne, rapproche, trie les choses, les distribue, les reprend, semble n’avoir d’autre fin que d’accomplir le projet de mouvement de toutes ces choses, séparées de la matière par la pellicule ferme et huilée de l’usage ; tous les objets sont ici préparés pour la manipulation, ils ont tous le détachement et la densité des fromages hollandais, ronds, préhensibles, vernissés.

Roland Barthes, « Essais critiques », Œuvres complètes (2), Seuil, p. 286.

David Farreny, 12 sept. 2009
bénévolement

Alors, Raban eut l’impression qu’il surmonterait encore cette longue et pénible épreuve des deux prochaines semaines. Car ce ne sont que deux semaines, c’est-à-dire un temps limité, et si les contrariétés ne cessent de grandir, le temps n’en diminue pas moins pendant lequel il faut les supporter. C’est pour cela, sans aucun doute, que le courage augmente. « Tous ceux qui veulent me faire souffrir et qui ont maintenant occupé entièrement l’espace qui m’entoure, tous ceux-là seront peu à peu refoulés par ces jours qui expirent bénévolement, sans que j’aie le moins du monde à leur venir en aide. Et je puis être faible et silencieux, comme il m’arrivera naturellement de l’être, je puis les laisser faire de moi tout ce qu’ils veulent, les choses s’arrangeront quand même, grâce à ces seuls jours qui passent. »

Franz Kafka, « Préparatifs de noce à la campagne », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 83.

David Farreny, 19 nov. 2011
résistance

Le malade était resté seul plusieurs heures, sa fièvre était un peu tombée, il avait pu saisir çà et là au vol un demi-sommeil léger, et le reste du temps, comme il était trop faible pour pouvoir bouger, il avait contemplé le plafond et avait dû lutter contre bien des pensées. Sa pensée semblait se réduire à une résistance, tout ce à quoi il se mettait à penser l’ennuyait ou le faisait souffrir et il consumait ses forces à étouffer sa pensée.

C’était déjà sûrement le soir, en tout cas il faisait nuit depuis longtemps — on était en novembre —, quand la porte de la chambre voisine s’ouvrit ; la logeuse se glissa dans la pièce pour allumer l’électricité et le médecin la suivit. Le malade s’étonna d’être si peu malade en vérité, ou si peu atteint par la maladie, car ces gens qui entraient, il les reconnaissait fort bien, aucune des particularités qu’il leur connaissait ne manquait, bien plus, pas même celles qui excitaient ordinairement en lui un sentiment de vide ou de dégoût ne lui semblaient exagérées, tout était comme toujours.

Franz Kafka, « Le malade était resté seul… », Œuvres complètes (2), Gallimard, pp. 800-801.

David Farreny, 4 janv. 2012
élan

Excuse-moi de ne pas venir aujourd’hui, j’avais dimanche quelque chose à faire et je ne l’ai pas fait, car le dimanche est court. Le matin, on dort ; l’après-midi, on se lave les cheveux et au crépuscule, on va se promener comme si on était un paresseux. J’emploie toujours le dimanche à prendre mon élan vers des plaisirs, c’est assez ridicule.

Franz Kafka, « lettre à Max Brod (21 octobre 1907) », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 605.

David Farreny, 20 avr. 2014
apocalypse

Avec ses dix siècles de terreurs, de ténèbres et de promesses, elle était plus apte que quiconque à s’accorder au côté nocturne du moment historique que nous traversons. L’apocalypse lui sied à merveille, elle en a l’habitude et le goût, et s’y exerce aujourd’hui plus que jamais, puisqu’elle a visiblement changé de rythme. « Où te hâtes-tu ainsi, ô Russie ? » se demandait déjà Gogol qui avait perçu la frénésie qu’elle cachait sous son apparente immobilité. Nous savons maintenant où elle court, nous savons surtout qu’à l’image des nations au destin impérial, elle est plus impatiente de résoudre les problèmes des autres que les siens propres.

Emil Cioran, « Histoire et utopie », Œuvres, Gallimard, pp. 457-458.

David Farreny, 17 mars 2024
prestige

Si nous comprenions vraiment notre vie, le suicide aurait un prestige tel qu’il nous serait impossible d’y avoir recours.

Jérôme Vallet, « Il se dit que si la porte était fermée, il aurait plus chaud », Georges de la Fuly. 🔗

David Farreny, 18 mars 2024

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