La veille de la bataille, tandis que Napoléon, de son côté, grignotait une poitrine de mouton arrosée d’un demi-verre de Chambertin, je constatai quant à moi que le distributeur automatique de plats chauds installé dans le hall de l’hôtel Formule 1 était en panne, et que pour obtenir le cassoulet sur lequel j’avais jeté mon dévolu, il me faudrait ressortir et marcher jusqu’à la réception de l’hôtel Etap, laquelle disposait en principe d’un appareil du même type. En fin de compte, je ne dînai pas (même si je savais, par la littérature, que c’est à sa capacité de se restaurer normalement, à la veille d’une bataille ou de son exécution capitale, qu’on reconnaît l’homme de caractère).
Jean Rolin, La clôture, P.O.L., p. 105.
Vivre reste une affaire dont les moyens mangent la fin.
Pierre Bergounioux, « Vie domestique », Un peu de bleu dans le paysage, Verdier, p. 45.
Son calme apparent lui confère une irréparable gravité. Lorsqu’il dit que la condition humaine est un naufrage, une catastrophe, un péché, ses mots sont si pathétiques et si mesurés qu’on croirait entendre sonner le glas dans un traité de logique…
Emil Cioran, « Nae Ionescu et le drame de la lucidité », Solitude et destin, Gallimard, p. 382.
Nous portons toute la misère du monde
les pires injustices toutes les
atrocités sont en nous
elles sont au monde parce qu’elles
sont en nous et je ne comprends
pas que cela constitue
un sujet d’étonnement
Jean-Pierre Georges, Je m’ennuie sur terre, Le Dé bleu, p. 57.
Autrefois, j’avais le désir d’expliquer, d’analyser, de faire émerger la vérité à tout prix. Plus rien de ce désir ne subsiste en moi. Je parle moins, et j’ai désormais un nouveau poste d’observation : le silence. C’est le meilleur des maîtres, et j’ai élaboré avec lui une stratégie qui sied aux rapports humains. Je suis capable de me taire une semaine entière. Les gens en déduisent que je suis mélancolique ou impassible. Ils se trompent. Je me tiens loin d’eux, c’est tout. Grâce au silence je prends le large. Pensif, je parcours les années et les lieux. Seul un silence prolongé étanche cette soif de contemplation. C’est mon alcool. Je bois sans répit et demeure assoiffé. Pour être honnête, il m’arrive d’être submergé par mes vieilles pulsions bavardes, par l’envie de convaincre, mais je n’y cède pas.
Aharon Appelfeld, Et la fureur ne s’est pas encore tue, L’Olivier, p. 7.
Afin de m’assurer que je ne suis pas une ombre, que ma vie n’est pas une illusion, je dresse à bâtons rompus la liste des faits et souvenirs marquants de mon existence avant d’admettre que rien de tout cela n’est aussi probant que le soupir qui conclut cette évocation.
Éric Chevillard, « mardi 2 juillet 2013 », L’autofictif. 🔗
L’œil équidistant de la lune quand on se déplace.
Emmanuelle Guattari, Ciels de Loire, Mercure de France, p. 103.
Enseigne-moi comment donner de la force à mes décisions salutaires, enseigne-moi à vouloir sérieusement ce que je veux, enseigne-moi la persévérance lorsque les tempêtes du destin ou que le revers d’une main balaient la construction de trois années. Enseigne-moi à parler au cœur des hommes sans que mon propos ne change de direction en traversant le centre réfringent de leur système d’opinions.
Georg Christoph Lichtenberg, Le miroir de l’âme, Corti, p. 202.
Ce n’est que bien des décennies après que nous pouvons garantir que le nom de l’auteur n’ôtera pas son prestige à la citation.
Nicolás Gómez Dávila, Carnets d'un vaincu. Scolies pour un texte implicite, L'Arche, p. 46.