intérêt

Un de ces endroits qui, aperçus sur la carte d’un atlas, suscitent notre intérêt… pourquoi ? parce que totalement dépourvus d’intérêt… Non, bien sûr, personne n’y va jamais, qu’est-ce que ça peut bien être, Goya ? Notre doigt retombe sur un vocable de ce genre — hameau en Islande, bourgade d’Argentine — et l’envie d’y partir nous envahit…

Witold Gombrowicz, Journal (1), Gallimard, p. 438.

David Farreny, 22 mars 2002
je

Seul ce Je rend possible la déclinaison du monde : car Tu, Il, Elle, Nous, Vous, Ils et Elles déclinent autant de modalités de l’altérité. L’autre intime, tutoyé, proche ; le tiers plus lointain ; l’ensemble des Je associés dans un projet commun ; le tiers intime ; les lointains assemblés. Une relation avec l’autre est impossible à construire si la saine relation entre soi et soi qui construit le Je, n’existe pas. Une identité défaillante, ou absente à elle-même, interdit l’éthique. Seule la force d’un Je autorise le déploiement d’une morale.

Tout Je qui n’est pas voulu, travaillé, par une puissance, taillé par une énergie, se constitue par défaut avec tous les déterminismes qui prennent la place.

Michel Onfray, La puissance d’exister, Grasset, p. 102.

Élisabeth Mazeron, 15 janv. 2007
ramifié

Je suis passé devant notre maison, j’ai jeté un coup d’œil sur la liste des noms des locataires actuels. Ils sont toujours là, les M., les W., les R. Treize ans ont passé. Ceux qui étaient jeunes, qui jouaient avec moi dans la rue, doivent être mariés, avoir des enfants, et je me vois débarquant dans leur salle à manger, ramifié par le souvenir, et eux cassant toutes mes branches une à une.

Georges Perros, Papiers collés (1), Gallimard, p. 59.

David Farreny, 12 mars 2008
myrmécologie

Seule distraction : ce chemin de fourmis qui depuis hier relie mon plancher à ma toiture et passe droit devant ma table. Un ruban roussâtre et fluctuant, deux pistes à sens unique. Elles se sont mis en tête de coltiner sur cette verticale le corps d’un petit gecko qui s’était imprudemment avisé de traverser leur route. Tirant du haut, poussant du bas, elles sont des centaines à s’affairer autour du petit animal dont la dépouille se moire d’un velours d’ouvrières. Il est retombé plusieurs fois, leur faisant perdre un terrain durement gagné. Elles ont passé un jour ou deux à la hauteur de ma machine et parfois je m’interrompais pour tarabuster le chantier du bout de mon crayon. Dans le silence menaçant de la sieste où pas une paupière ne bat dans la ville, il me semblait entendre les sifflets des contremaîtres, les jurons des grutiers, le ronflement des treuils. J’espère avoir terminé avant qu’elles ne disparaissent avec leur fardeau dans les retraites de mon plafond. Ce sont de grandes Œcophyles smaragdines qui ne m’avaient encore jamais rendu visite. Merveilleusement carénées, astiquées comme les bottines du maréchal Lyautey, très vaines de leur taille fine. Snobs et talon rouge en diable ; le fin du fin de la myrmécologie équatoriale. Toutes les autres fourmis les haïssent et les attaquent.

Nicolas Bouvier, Le poisson-scorpion, Payot, pp. 144-145.

Élisabeth Mazeron, 23 avr. 2008
détache

Le plus intéressant dans cette histoire, c’étaient les lieux. La campagne est magnifique, en ce moment ; et même cette terrasse de Mauvezin, dans sa paisible insignifiance, son Dasein insinuant, tout de vacance, un dimanche fait espace, du rien fait air… J’imagine que la perversion commence quand les balustrades se mettent à produire plus d’effet sur vous que les corps, les ciels que les visages, les feuillages que les queues… À moins que ce ne soit le grand âge ? Ou bien encore la sagesse, le détachement ? Programme d’une vie : je me détache. Programme d’une mort ?

Renaud Camus, « dimanche 23 août 1998 », Hommage au carré. Journal 1998, Fayard, p. 244.

Élisabeth Mazeron, 28 avr. 2010
excellent

Soleil à 9 h du soir, qui devient chaud vers 10 h. Ces crépuscules interminables comme on en voit d’avion, l’été, en allant en Amérique. La marée basse, les longues laisses noires des récifs noircis par le varech humide, qui n’ont jamais le temps de sécher, entre deux marées. Les bateaux échoués, qui dorment sur le côté, leur mât qui se relève du sable, avec le flot ; les caps, nez allongé comme crocodiles en sommeil, des îles apparaissent, insoupçonnées. À 10 h, un soleil rouge comme bombe atomique descend dans une eau calme d’étang ; où la marée va-t-elle trouver la force de se gonfler de 7 mètres de haut ; elle s’arrête au même endroit, excellent, au bord du sable chaud et blanc.

Paul Morand, « 22 juin 1975 », Journal inutile (2), Gallimard, p. 555.

David Farreny, 6 sept. 2010
obscurcit

Le rapport entre le mystère et l’ignorance : est-ce leur méconnaissance d’elles-mêmes qui obscurcit les choses ? Doivent-elles ignorer qu’elles sont mystérieuses ?

Petr Král, Cahiers de Paris, Flammarion, p. 137.

David Farreny, 2 avr. 2013
cela

— Est-ce que ta mère est vivante ?

— Elle est morte, elle avait vingt-trois ans, elle a rempli de glace un petit pain, qu’elle a mangé d’un coup. C’est cela qui l’a tuée. J’ai une marâtre.

Dezsö Kosztolányi, Portraits, La Baconnière, p. 65.

Cécile Carret, 12 juin 2013
écrivain

L’écrivain est l’homme le plus insignifiant au monde. Il est vide, complètement vide. Sa consistance se trouve dans ses livres.

Dezsö Kosztolányi, Portraits, La Baconnière, p. 168.

Cécile Carret, 22 juin 2013
seul

Oui, à quel point on se retrouve vite seul à ouvrir une porte de chambre, à ouvrir une fenêtre, à s’engager sur un chemin latéral !

Peter Handke, Par une nuit obscure je sortis de ma maison tranquille, Gallimard, p. 75.

Cécile Carret, 21 juil. 2013
grise

À peine peut-on se dire qu’on est loin, cela grise quelques minutes pendant lesquelles on voit ou croit voir les choses neuves d’un œil neuf : c’est un leurre, un malentendu, car c’est moins une région que l’on découvre que son nom, c’est lui qu’on parcourt plutôt qu’elle. On s’admire surtout de l’occuper, d’arpenter les syllabes exotiques de ce nom plutôt que les panoramas du pays lui-même, qui devient vite à vrai dire un bled comme un autre où l’on ne pense bientôt plus qu’à retourner dans le sien, rentrer chez soi où l’on sait bien aussi d’ailleurs qu’on ne sera pas mieux, bref on n’est guère avancé.

Jean Echenoz, « Génie civil », Caprice de la reine, Minuit, p. 63.

Cécile Carret, 26 avr. 2014
macérations

Mais le souverain détachement des choses de ce monde auquel je m’efforçai de parvenir par la méditation, l’ascèse, le yoga, le jeûne, l’abstinence, la lecture des stoïciens et l’étude des grands sages de l’Orient me vint finalement comme une grâce avec la dépression consécutive à ces macérations.

Éric Chevillard, « lundi 1er juin 2020 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 17 mars 2024

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