cadavre

Quant à ceux qui se permettent de parler de moi sur un ton ennuyeux, pédant, doctrinal, ils se voient cruellement punis : leur bouche béante, je la remplis jusqu’à ras bord de mon cadavre.

Witold Gombrowicz, Journal (1), Gallimard, p. 164.

David Farreny, 20 mars 2002
parler

La morgue ouvrait aussi sur cette cour : parfois sous un drap une forme couchée passait, dont les brancardiers plaisantaient par la fenêtre ouverte avec les malades ; je n’étais pas sous ce drap, mes yeux voyaient l’été, j’avais loisir de parler des morts.

Pierre Michon, Vies minuscules, Gallimard, p. 148.

David Farreny, 22 mars 2002
éducation

« Nous savons bien que ceux que nous chargeons d’éduquer nos enfants n’ont, pour la plupart, pas reçu d’éducation eux-mêmes. Et nous n’ignorons pas qu’ils ne peuvent transmettre ce qu’ils n’ont jamais appris et qui ne peut s’acquérir d’une autre manière. » Ainsi s’exprimait Leopardi il y a presque deux siècles. Il eut la prudence d’attendre d’être mort pour faire connaître au public de si beaux sentiments.

Renaud Camus, Du sens, P.O.L., p. 300.

David Farreny, 19 mai 2002
délivrance

Tout au long de ces poèmes, dont la suite couvre l’essentiel de notre histoire nationale, on peut reconnaître, dans un sentiment intense de familiarité, les archétypes mêmes de nos grands moments poétiques, du Moyen Âge aux surréalistes, à Éluard (à l’exception des classiques décidément étrangers à toute circulation populaire). De ce qu’on est convenu d’appeler la grande littérature, ces textes ont les audaces essentielles : le raccourci, l’irrationnel, l’aplomb d’un langage qui ne s’étonne ni ne s’émerveille jamais de lui-même et refuse la complaisance rhétorique, en bref un état merveilleux d’inéloquence que nous avions accoutumé de reconnaître comme le pouvoir des très grands auteurs. Voyez un détail, par exemple : comme la chute de tous ces poèmes est pudique, hostile au coup de trompette des clausules traditionnelles.

On aimerait imaginer une philosophie de l’histoire littéraire qui donnerait à la suite de nos poètes connus cette table de poèmes populaires comme un archétype platonicien de la poésie : nous avons bien ici une idée de la littérature, dont les belles-lettres sont comme le reflet historique. En lisant au hasard parmi les proverbes populaires qui terminent ce Trésor : Dieu mesure le vent aux brebis dépouillées, ou La clef qui sert est toujours claire, est-ce que je n’accomplis pas en moi un état d’évidence immédiate, un sentiment de nutrition, de délectation qui fondent la littérature comme une parole de délivrance et de bonheur ?

Roland Barthes, « Trésor ouvert, trésor retrouvé », Œuvres complètes (1), Seuil, p. 571.

David Farreny, 17 nov. 2004
non-accomplissement

J’appelais aussi : « Oh ! toi, qui m’es tellement et pour qui je ne suis presque plus rien peut-être, mirage toujours au milieu de mon horizon, visage si beau toujours à distance, combien mon être est dans la misère quand je songe à notre amour. Oh ! non-accomplissement. Je ne sais plus chercher mon bien. Je ne sais plus fuir mon mal. Les terres labourées sont derrière moi. Oh ! comme la pensée de cela est difficile à porter. »

Henri Michaux, « Vents et poussières », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 172.

David Farreny, 9 nov. 2005
crée

Je vous recommande aussi ma méthode d’insistance au moyen de la répétition : en répétant systématiquement certains mots, certains tours, certaines situations, certaines parties, je les renforce tout en augmentant jusqu’aux frontières de la manie l’impression d’unité de style. C’est par la répétition, par la répétition qu’on crée le plus facilement n’importe quelle mythologie !

Witold Gombrowicz, Ferdydurke, Gallimard, p. 104.

Cécile Carret, 13 mai 2007
dissimulation

Mais il fallait le plus souvent pour découvrir l’œuf caché une très longue quête. Bacadette était d’une ingénuité prodigieuse. C’est à l’échafaudage de stratégies nouvelles de dissimulation qu’elle se livrait, en une concentration acharnée, les après-midi, posée au milieu d’une allée, le bec sur la poitrine, sans même bouger quand on passait près d’elle.

Jacques Roubaud, Parc sauvage, Seuil, p. 48.

Cécile Carret, 22 janv. 2008
vieilli

J’ai vieilli d’un an. Mon existence se partage, désormais, en deux moitiés, l’une, la première, obscure, immanente, sans but, l’autre déchirée par la conscience que je suis, qu’il importe d’y voir clair, de se déterminer par rapport à ce qui en vaut la peine, d’agir en conséquence. L’ennui, c’est que mille choses me touchent, me hèlent, s’offrent à ma joie. Cent vies n’y suffiraient pas. C’est pourquoi je les mène en rêve.

Pierre Bergounioux, « mercredi 25 mai 1983 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 208.

Élisabeth Mazeron, 28 sept. 2008
larges

Addio, cari… C’est curieux, les plaisanteries d’Inga et de ses grandes amies, de ces Femmes damnées : de petites plaisanteries de religieuses, de « bonnes sœurs ». À notre avant-dernière réunion, dans cette grande ville pleine d’appels joyeux, de fleurs et de parfums, chaque matin je répétais plusieurs fois : « Je vais me lever. » Alors elle disait : « Tu vas te lœwer ? tu vas devenir un lion ! Oh, j’ai peur, tu vas me dévorer. » Et elle riait, comme si ce jeu de mots était extrêmement drôle. Ah, oui : la petite fille en elle. C’était bon aussi, ces matins-là. L’été. Les grandes avenues bien ombragées, larges, toutes pleines de l’été et d’une belle vie lente et heureuse. On en voyait trois de nos fenêtres.

Valery Larbaud, « Amants, heureux amants... », Œuvres, Gallimard, pp. 634-635.

David Farreny, 2 nov. 2009
désir

Le désir, un bien grand mot, c’est l’envie qui manque.

Jean-Pierre Georges, L’éphémère dure toujours, Tarabuste, p. 24.

David Farreny, 27 juin 2010
relire

« Je ne lis plus. Je relis. » Cela peut paraître pédant. Mais ça ne l’est pas. Arrivé à un certain âge, nous — du moins en ce qui me concerne — réalisons que nous ne gardons aucun souvenir de ce qu’à une époque nous avons lu. Nous sommes alors saisis d’effroi et nous nous mettons à relire.

Iñaki Uriarte, Bâiller devant Dieu, Séguier, p. 240.

David Farreny, 28 fév. 2024
attarde

Ne reste de ma jeunesse enfuie que son avenir où je m’attarde.

Éric Chevillard, « mardi 8 février 2022 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 17 mars 2024

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