sensibilité

Lorsque je sors, une averse est tombée. Les rues mouillées brillent sous un rayon de soleil, ce qui m’a toujours été désagréable sans que j’en devine la raison. Ce doit être que, soucieux, exagérément, de l’état du ciel et désireux, à l’excès, de constance, d’unité, je me trouve dans le cas de passer brutalement des dispositions assorties à la pluie à celles, opposées, que m’impose le soleil. Ou plutôt, l’éclat du soleil dans la pluie me met dans un état contradictoire, qui m’est pénible. J’aimerais parfois posséder la sensibilité d’un concombre, sur certains points, du moins.

Pierre Bergounioux, « mercredi 30 mars 1988 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, pp. 680-681.

David Farreny, 20 avr. 2006
raffinement

Pas d’érotisme dans le troupeau, la meute ou l’agencement grégaire. En revanche, toute micro-société intellectuellement constituée le permet. Et la formule inaugurée par le contrat hédoniste constitue ce territoire policé de deux êtres — au moins — soucieux de construire leur sexualité selon l’ordre de leurs caprices raisonnés, grâce au langage habilité à préciser les modalités de ce à quoi on s’engage. Le contrat exige la parole donnée, il nécessite donc un degré de civilisation élaboré, un raffinement certain, sinon un certain raffinement.

Certes cette configuration éthique et esthétique idéale suppose des contractants sur mesure. À savoir : clairs sur leur désir, ni changeants ni ondoyants, pas hésitants, nullement travaillés par la contradiction, ayant résolu leurs problèmes et ne trimbalant pas leur incohérence, leur inconséquence et leur irrationalité en bandoulière. Ce qui caractérise ce genre de personnages ? La trahison permanente de la parole donnée, le changement d’avis et la mémoire sélective, intéressée, le goût pour la tergiversation verbale et verbeuse pour légitimer et justifier leurs volte-face, un talent consommé pour ne pas faire ce qu’ils disent et pour agir à rebours de ce qu’ils annoncent. Avec ce genre de citoyens, aucun contrat n’est possible. Une fois détecté, passer son chemin…

Michel Onfray, La puissance d’exister, Grasset, p. 138.

Élisabeth Mazeron, 15 janv. 2007
modestie

À quoi bon ajouter son grain de sel à cet océan de mots ? Et pourquoi pas ? Et si la littérature était devenue affaire de modestie. On ne sait jamais. L’orgueil a de ces tours.

Georges Perros, Papiers collés (2), Gallimard, p. 437.

David Farreny, 11 mars 2008
tant

Qu’importe d’ailleurs : si on marche, c’est que quoi faire d’autre. Je n’aime pas du tout qu’on m’arrête par le coude, qu’on me demande ce qu’il en est du bonheur : j’en ai ma part, je ne suis pas sûr qu’elle me serve tant.

François Bon, « Ce qu’il en est du bonheur », Tumulte, Fayard, p. 462.

David Farreny, 1er mai 2008
égal

Marc avait aussi un fils, qui vivait loin de lui. Trop loin. Il ne souhaitait pas en parler. Il préférait reparler de la femme du métro. Ça l’intéressait de s’intéresser à elle. Ça l’occupait. Moi aussi, dis-je. Marie m’occupe. Je vous trouve vieux, tous les deux, intervint Kontcharski. Vous ne vivez pas assez. Et vous ? dis-je. Qu’est-ce que vous vivez de plus, Cyril ? Je ne voulais pas l’agresser, mais je voulais défendre Marc. Moi, ça m’était égal, je ne prétendais pas vivre, je trouve que c’est une ambition stupide. On vit de toute façon et en fin de compte quelque chose s’est passé. Ou a passé. Bref.

Christian Oster, Trois hommes seuls, Minuit, p. 53.

Cécile Carret, 14 sept. 2008
accepter

C’est dès qu’on respire qu’on est sommé d’agir, exposé à pâtir. Aussi un accès infaillible, fulgurant nous est-il ménagé sur l’endroit précis où les heures d’or, les nôtres attendent notre venue pour commencer leur ronde. J’ai su où était ma place quand je n’avais pas le premier mot pour l’expliquer. Ç’aurait été sans importance si j’avais pu m’y établir. Je le cherche parce que ce qui est arrivé n’est pas ce qui aurait dû et qu’on peut toujours, à défaut, s’efforcer de comprendre, d’accepter.

Pierre Bergounioux, Le premier mot, Gallimard, p. 20.

Élisabeth Mazeron, 7 mai 2010
marquer

Aujourd’hui, je voudrais bien savoir si mon déménagement imminent va marquer un début ou une fin. Il est peut-être naïf de se poser une telle question à mon âge.

Marc Augé, Journal d’un S.D.F. Ethnofiction, Seuil, p. 14.

Cécile Carret, 27 fév. 2011
pleurer

Les larmes sans arrêt coulaient, les larmes formaient comme une membrane humide sur ses yeux. Elle ne voyait plus personne. Que lui importait qu’on la voie.

Puis les spasmes sont survenus, spasmes des muscles et des nerfs qui lui nouaient la gorge où quelque chose d’âpre raclait, comme si elle avait avalé du vin vieux, quelque chose d’amer, d’insupportable.

Ses compagnons de voyage étaient à même d’observer de près ce phénomène qu’est le fait ancestral de pleurer. D’un souffle, d’un seul, la poitrine se gonflait de façon titanesque, et, prise de mouvements convulsifs la bouche s’ouvrait pour happer l’air. Quelques halètements syncopés, puis après cette suite de brèves contractions venait enfin celle qui libérait la poitrine, et c’était encore douloureux, mais c’était aussi la fin de la douleur.

Dezsö Kosztolányi, Alouette, Viviane Hamy, p. 32.

Cécile Carret, 4 août 2012
déchiré

Je crois que cette insomnie tient uniquement au fait que j’écris. Car si peu et si mal que j’écrive, il n’en reste pas moins que ces petits ébranlements m’éprouvent ; je sens, vers le soir et surtout le matin, l’approche, la possibilité imminente de grands états exaltants qui me rendraient capables de tout, mais ensuite, au milieu du bruit général qui est en moi et auquel je n’ai pas le temps de donner des ordres, je n’arrive pas à trouver le repos. En fin de compte, ce bruit n’est qu’une harmonie réprimée, contenue, qui, laissée libre, me remplirait entièrement, plus même, pourrait me dilater sans cesser de me remplir. Mais pour l’instant, à côté des faibles espoirs qu’il fait naître, cet état ne me fait que du mal, ma nature ne disposant pas d’une compréhension suffisante pour supporter l’actuel mélange ; pendant le jour, le monde visible me vient en aide, la nuit, rien ne s’oppose à ce que je sois déchiré.

Franz Kafka, « Journaux », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 89.

David Farreny, 7 oct. 2012
consomme

Un interminable et mélancolique après-midi de dimanche, qui consomme des années entières, qui se compose d’années. Tour à tour désespéré dans les rues vides, puis, calmé, sur mon canapé. Étonnement, parfois, devant les nuages absurdes, sans couleur, qui défilent presque continuellement. « Tu es mis en réserve pour un grand lundi. » « Bien parlé, mais le dimanche ne finira jamais. »

Franz Kafka, « Journaux », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 516.

David Farreny, 9 nov. 2012
rose

Au milieu de l’immense rose

Que revêt pour mourir l’automne venaissin.

Gilbert Lely, « Ma civilisation », Poésies complètes (1), Mercure de France, p. 77.

Guillaume Colnot, 7 déc. 2013

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