déchaussée

Je l’ai accompagnée jusqu’à la chambre. Je l’ai assise sur le lit. Je l’ai déchaussée. J’ai eu le courage de m’occuper d’elle. Je me suis dit qu’elle m’aimait, maintenant. Que c’était de l’amour. Qu’est-ce que je vais faire ? me suis-je dit. Viens, a-t-elle suggéré. Je l’ai prise. Ç’a été bien. Ça marchait.

Christian Oster, Une femme de ménage, Minuit, p. 118.

David Farreny, 13 avr. 2002
salamandre

La salamandre ne soupçonne rien de la moucheture noire et jaune de son dos. Il ne lui est pas venu à l’esprit que ces taches sont disposées en deux chaînettes ou se rejoignent en une seule sente compacte en fonction de l’humidité du sable, de la nuance vivante ou mortuaire du terrarium.

Ossip Mandelstam, Voyage en Arménie, L’Âge d’Homme.

Guillaume Colnot, 19 mai 2009
pause

Pause. Le vent poussa un cri d’horreur spirite-faible, absolument impossible à rendre en notation musicale. À la vérité : y étaient inclus les quatorze résistants qui avaient voulu sur leurs sacs prendre un repos bien mérité. C’est la guerre. Pause. La boîte à cigarettes était posée derrière moi. Elle se leva et fit un pas de chat, doucement.

Penchée au-dessus de moi (c’est-à-dire vers la boîte à cigarettes, bien sûr !) : sa robe était immense, gigantesque ; un désert rouge aux noirs tronçons de rochers. Le visage planait à perte de vue ; les verres des lunettes pendaient au-dessus de moi comme deux lacs figés, gelés (au fond desquels moi, monstre fantastique, je me tenais immobile). Encore. J’enlaçai involontairement son cou avec mes mains-crochets ; et le planétoïde, ô toi mon satellite, entra en collision avec moi.

Arno Schmidt, « Histoire racontée sur le dos », Histoires, Tristram, p. 56.

Cécile Carret, 17 nov. 2009
œilleton

Éveillé en sursaut, Papantoniou s’assit dans le lit, réalisa, plongea sur le parquet, amorça une pompe, rampa, poings fermés, vers l’entrée, sous la table, sous une chaise, le bassin coinça, marche arrière, atteignit la porte, se releva en catimini.

L’œilleton tordit deux hommes plantés. L’énorme index de l’un passa devant le judas. Instantanément, la sonnette feula.

Alain Sevestre, Les tristes, Gallimard, p. 55.

Cécile Carret, 9 déc. 2009
pèlerin

Conduire une auto, avec le soleil matinal dans les yeux, sur une départementale. Campagne blanche, gelée, chauffage à fond. Qu’importe que ce soit pour signer un papier rayant 33 ans de ma vie. Chaque instant apparu du fond de l’éternité foudroie d’innocence le pèlerin du temps.

Jean-Pierre Georges, L’éphémère dure toujours, Tarabuste, p. 16.

David Farreny, 27 juin 2010
attente

Seul le chien porte l’attente au niveau de la mystique.

Jean-Pierre Georges, L’éphémère dure toujours, Tarabuste, p. 63.

David Farreny, 27 juin 2010
silence

Ils bavardent un moment, mais le silence s’installe car ils ne trouvent plus rien à dire. Malgré son envie de caler ses pieds sur le tableau de bord pendant qu’elle conduit, Guthrie les garde sur le plancher et fume des cigarettes, baisse la vitre, en espérant que la brise dissipera sa nervosité. Puis le silence change comme il le fait quelquefois, et ils sont très bien sans parler. Ils regardent juste les panneaux et les hautes tiges de maïs qui oscillent de chaque côté de la route, l’éclat du soleil blanc sur le capot.

Claire Keegan, L’Antarctique, Sabine Wespieser, p. 104.

Cécile Carret, 23 déc. 2010
s’amarrer

Ce peut être souvent une source de grand plaisir que de penser à soi, dans la solitude, et de se créer un monde de son propre cœur ; toutefois, ainsi, l’on travaille sans s’en aviser à une philosophie pour laquelle le suicide a peu de prix et est autorisé. C’est pourquoi il est bon de s’amarrer au monde par le moyen d’une jeune fille ou bien d’un ami, afin de ne pas sombrer complètement.

Georg Christoph Lichtenberg, Le miroir de l’âme, Corti, p. 155.

David Farreny, 23 oct. 2014
pion

Tourner la loi. Se prendre pour… Les filles disent « mon fiancé », elles s’imaginent grandes dames-XIXe siècle, du temps où il y avait des fiançailles. Elles disent « ton mec », c’est le fantasme provisoire crapule Carco. On dit « ton Jules », ça fait encore plus fortifs, du temps où il y avait une marge, c’est-à-dire une société. « Ton ex », ça signifierait qu’à un moment il a été actuel. Alors que de toute façon, dans tous les cas, ça n’a jamais été qu’un pion de rencontre sur un échiquier d’ennui et de brouillard. Développer.

Me souvenir des excellents clichés mis en scène dans Les Nuits de la pleine lune vu hier. Rapports de force à feu doux, liberté, vie commune tempérée, illusions d’exister.

Philippe Muray, « 6 janvier 1985 », Ultima necat (I), Les Belles Lettres, p. 536.

David Farreny, 3 juin 2015

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