protégé

Il ne concevait pas qu’on puisse étudier autrement qu’à l’étroit, abrité de la respiration énorme de l’espace par des épaisseurs successives de murs, protégé non seulement par le toit des rêves qui agitent sans discontinuer le ciel, mais par un solide glacis de pavés de l’humide et sourde suggestion de la terre.

Pierre Bergounioux, Catherine, Gallimard, p. 37.

Guillaume Colnot, 14 avr. 2002
public

Il arriva que le feu prit dans les coulisses d’un théâtre. Le bouffon vint en avertir le public. On pensa qu’il faisait de l’esprit et on applaudit ; il insista ; on rit de plus belle. C’est ainsi, je pense, que périra le monde : dans la joie générale des gens spirituels qui croiront à une farce.

Søren Kierkegaard, « Diapsalmata », Ou bien... Ou bien..., Gallimard, p. 27.

Guillaume Colnot, 28 août 2003
dedans

Quand on n’est pas de là, on ne peut pas. On n’est qu’avec les choses. On est dedans. On a perdu jusqu’à la notion des hommes, des vivants et des morts, et c’est ce qui s’est produit à plusieurs reprises. Je suis sorti, béant, du bruit, des étincelles et j’ai connu, l’espace d’une seconde, peut-être, ce qu’on passe le plus clair de sa vie à continuer de vouloir en sachant parfaitement que c’est impossible, fou : que reviennent d’entre les ombres ceux que nous avons connus et que nous aimions.

Pierre Bergounioux, Miette, Gallimard, p. 56.

Élisabeth Mazeron, 6 oct. 2004
accaparer

Ce qui serait bien, c’est que nos jours, d’eux-mêmes, se rangent derrière nous, s’assagissent, s’estompent ainsi qu’un paysage traversé. On serait à l’heure toujours neuve qu’il est. On vivrait indéfiniment. Mais ce n’est pas pour ça que nous sommes faits. La preuve, c’est que l’avancée se complique des heures, des jours en nombre croissant qui nous restent présents, pesants, mémorables à proportion de ce qu’ils nous ont enlevé. Ils doivent finir, j’imagine, par nous accaparer. Quand cela se produit, qu’on est devenu tout entier du passé, notre terme est venu. On va s’en aller.

Pierre Bergounioux, Miette, Gallimard, p. 142.

Élisabeth Mazeron, 6 oct. 2004
unique

Au loin

tout à fait au loin, une latte de fer, frappée, résonne

touchée peut-être par un enfant distrait

qui, rêveur, remarque à peine qu’il fait un bruit

bruit souligné pour moi seul

extraordinaire

unique

qui s’engage dans les profondeurs

introduisant saveur

développant saveur

enfilant saveur

au-delà

au-delà

au-delà.

Je tiens sur l’autel

ce son ineffable et saint

prodigieusement capable

prodigieusement important

inestimable et sacré.

Henri Michaux, « Connaissance par les gouffres », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 38.

David Farreny, 21 oct. 2005
enclos

Ce jour-là, dit-il, ne fut pas un jour très différent des autres jours. Depuis quelque temps, Ophélie avait découvert que son cœur l’avait quittée. Elle s’en était aperçue certaine nuit où, cherchant à s’endormir et ne pouvant trouver le sommeil, elle avait glissé sa main sous ses seins et avaient senti, en ces doux parages de chair, la place d’un grand vide où plus rien ne battait. Le précipité d’un désert. Un enclos d’absence, d’immobilité, de nullité d’être… Elle serrait sa main contre sa poitrine — et sa poitrine ne répondait pas. Elle fixait son écoute sur le point précis où, d’ordinaire, le martèlement du cœur se laissait entendre — mais aucune pulsation ne lui parvenait ni même une rumeur. Avec angoisse elle pressait ses mains sur ses côtés et les laissait ensuite doucement se détendre, absolument comme on voudrait s’emparer de quelque chose d’infiniment précieux et le retenir — et l’on s’aperçoit alors dans le retrait qu’il n’y a rien, qu’il n’y a plus rien, qu’il n’y a jamais rien eu. Et l’on recommence aussitôt — le même geste de saisie et de remise — car une telle évidence est proprement insupportable.

Claude Louis-Combet, « La raison d’Ophélie », Rapt et ravissement, Deyrolle, pp. 46-47.

Élisabeth Mazeron, 26 mars 2010
vie

Ainsi s’approche-t-on de la monstrueuse utopie que j’ai toujours en frémissant caressée, un journal qui serait la vie, la remplirait tout entière, se substituerait à elle. Les lignes sont la couleur même du temps, la vie est l’écriture même, biographie, graphobie. Ce n’est plus de la littérature que relève l’entreprise, à supposer qu’elle y ait appartenu jamais ; à moins que la littérature n’ait précisément cette fin, et ne soit justement cela, cette impérialiste totalité qui tend au monde un miroir sans tain, qu’elle emplit tout entière ; non par la beauté de ses phrases, mais par le seul effet de leur masse.

Un lecteur ? Mais lui-même et tout son temps seraient happés par l’absurde projet de lire ces pages. Son existence ne coïnciderait plus qu’avec ce papier ; sauf s’il n’observait, de ces phrases, que leur accumulation en cahiers, en volumes, et s’il avait le moyen de s’assurer, par le biais d’un index, qu’elles ne sont pas méandres abstraits de la plume et de l’encre, mais que des sens les ont bien habitées, que des colères, des coïncidences et des joies les ont dictées, qu’elles ont prétendu, sans trop y croire, refléter des heures, des humeurs, des villes, de vagues opinions, des états de ciel et de l’âme. Le monde ? Allons donc ! Une table, une fenêtre, une table près d’une fenêtre, et la vue, les vues.

Renaud Camus, « mardi 26 mai 1987 », Vigiles. Journal 1987, P.O.L., pp. 232-233.

David Farreny, 5 nov. 2010
loi

Il avait coutume de nommer ses vertus et ses défauts, Chambre des communes et Chambre des Lords et, très souvent, la première promulguait une loi que la seconde refusait d’adopter.

Georg Christoph Lichtenberg, Le miroir de l’âme, Corti, p. 135.

David Farreny, 23 oct. 2014

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