récupérer

Comme l’amour de l’Auvergne — de l’Auvergne que j’aime et qui n’existe plus qu’à peine, probablement —, l’amour de l’Écosse est un amour masochiste, un amour méchant envers celui qui l’éprouve, un amour boudeur envers le monde. Pense-t-on qu’on pourrait être heureux, dans ces solitudes revêches, au détestable climat ? Une bonne part de leur incomparable beauté vient de leur éloignement, de leur difficulté d’accès, du défi qu’il y a à être là, qu’il y aurait à vivre là malgré l’éloignement, malgré le temps, malgré le temps. Habiter au fin fond du Perthshire, de l’Invernesshire ou du Sutherland, c’est hurler au siècle qu’on lui refuse notre présence, hurler au plaisir qu’on entend se passer de lui, beugler à la douceur de vivre qu’en ce qui nous concerne elle peut se rhabiller. Or il faut croire que quelque chose en moi aspire farouchement à cette emphase dans l’inappartenance, car si je contemple une photographie du loch Coulin et la silhouette minuscule de Coulin Lodge, au fond du lac et sous la masse neigeuse du Ben Eighe Mhor, je me sens me quitter et m’engouffrer dans l’image, et des heures se passent avant que je puisse me récupérer, ne serait-ce que pour dormir à mes côtés.

Renaud Camus, « jeudi 23 août 2001 », Sommeil de personne. Journal 2001, Fayard, pp. 415-416.

David Farreny, 17 mai 2004
geste

Lorsqu’on réalise que tout est vain, mais que, absurdement, on continue à aimer la vie, il faut se résoudre à faire un geste, une action. Car il vaut mieux se détruire dans la frénésie que dans la neutralité.

Emil Cioran, « La nécessité du radicalisme », Solitude et destin, Gallimard, p. 347.

David Farreny, 24 juin 2005
restaurer

La vie est ainsi faite que, pour la supporter, il faut de temps en temps la déposer, reprendre un peu haleine, et comme se restaurer d’un léger avant-goût de la mort.

Giacomo Leopardi, « Cantique du coq sauvage », Petites œuvres morales, Allia, p. 177.

David Farreny, 9 nov. 2005
montagnes

Apparaissent des cimes encore mal sorties du néant,

mais qui ont tout de suite malgré les réticences des lointains,

le prestige et la responsabilité des montagnes.

Jules Supervielle, Débarcadères, p. 24.

David Farreny, 11 mars 2008
vacance

Je devrais détester le pavillon de Croisset, je ne puis. Il dresse le maigre vestige qu’il est au milieu des silos, des minoteries, des grues, des rails, des voies express des faubourgs portuaires de Rouen, en aval sur la Seine. Il faut avouer que ce paysage de catastrophe a une certaine beauté. Est-ce le cinéma qui nous a appris à l’aimer ? Ou bien les fleuves ont-ils toujours quelque chose pour nous plaire, quoi qu’il puisse leur arriver ? Tous ces grands édifices qu’on voit là donnent aussi le sentiment qu’ils ont un peu dépassé, eux aussi, leur âge de plus grande efficacité. Il n’est pas impossible même qu’ils aient déjà rejoint, comme la maison de Flaubert effacée, le camp des vaincus, des oubliés par le temps, des vestiges, des traces, des simples emplacements. D’eux aussi la vie se retire : la force, la puissance, l’agressivité, la barbarie. Ils sont en train d’aborder à ce site de toutes les indulgences, des tendresses et des émois lyriques : la vacance.

Renaud Camus, « Pavillon de Croisset, Canteleu, Seine-Maritime. Gustave Flaubert », Demeures de l’esprit. France II. Nord-Ouest, Fayard, pp. 436-437.

David Farreny, 26 fév. 2010
simplement

— Et vous, que faites-vous ?

— La même chose que le serveur de Pest qui prend huit commandes de café à la fois. L’un des clients commande le café clair et tiède, l’autre noir et brûlant, le troisième noisette et froid, et le serveur crie au garçon de comptoir : « huit cafés ! » tout simplement.

Dezsö Kosztolányi, Portraits, La Baconnière, p. 103.

Cécile Carret, 22 juin 2013
champ

Même mon amie, quand de son car qui démarrait de l’autre côté de la rue elle se tournait vers moi, me bouchait la vision du libre espace. Je ne pouvais répondre à son salut que lorsqu’elle était sortie du champ, que l’endroit était à nouveau vide. Alors, il est vrai, le pays tout entier semblait occupé par elle, je faisais avec elle son propre parcours comme elle faisait le mien avec moi.

Peter Handke, Le recommencement, Gallimard, p. 56.

Cécile Carret, 4 août 2013
âge

Vers l’âge de 50 ans, débarrassées des charges et responsabilités qu’elles avaient acceptées bon gré mal gré, délivrées aussi sans doute du souci de plaire, les femmes se découvrent une vitalité nouvelle, un goût vorace pour la culture, le chant, les voyages.

C’est le moment où les hommes, de leur côté, tentés par l’inertie, restreignent leurs ambitions, renoncent à beaucoup de choses, se résignent paresseusement, complaisamment, à leur sort et à leurs limites.

Le couple devient comique. Tandis que Marcel s’enfonce dans son canapé, Josyane parcourt l’Inde sac au dos.

Éric Chevillard, « lundi 15 août 2016 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 15 août 2016

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