agit

Même un objet léger (sac à main, livre…) agit sur la marche.

Nathalie Quintane, Chaussure, P.O.L., p. 57.

David Farreny, 20 mars 2002
circonstances

C’est que nous nous ressemblons un peu tous, mais jamais dans les mêmes circonstances.

Georges Perros, Papiers collés (2), Gallimard, p. 10.

David Farreny, 20 mars 2002
donc

On a toujours remarqué que ce qu’il y avait de plus merveilleux dans l’homme était l’enthousiasme, mais que, hélas, on s’y cassait promptement les os, ou bien l’on cassait les os des autres.

Les Goulares ont essayé de dissocier les deux. L’enthousiasme et son objet. Donc, pas d’objet.

Ils s’excitent à s’exciter.

On en voit, solitaires sur un roc, ou en troupes sur les places, dans la transe. Envahis par des fièvres de loup.

Henri Michaux, « En marge d’Ailleurs », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 136.

David Farreny, 13 avr. 2002
balle

Dans les cœurs fervents refermés sur eux-mêmes, de brèves expériences dévorent notre humain tissu comme un feu qui couve en secret dans la cale d’un navire consume le coton dans sa balle.

Herman Melville, Billy Budd, Gallimard, p. 145.

David Farreny, 4 déc. 2003
valeur

Le silence commence à muer.

Autour de moi quelque chose, d’extrême, de fin, de pas définissable, petit balayage en tous sens et qui se rapproche. Dans le voisinage une multitude avance.

En bruissements, comme il en émane d’une maisonnée, la chambre solitaire s’est changée.

Mots qui prennent une valeur extrême. Présentement, le mot « milliers ».

Henri Michaux, « Les grandes épreuves de l’esprit et les innombrables petites », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 355.

David Farreny, 8 déc. 2005
fichiers

Le livre est un intermédiaire vieilli entre deux systèmes différents de fichiers.

Walter Benjamin, Sens unique, Maurice Nadeau.

David Farreny, 4 avr. 2007
épouvantail

À défaut de se reposer sur l’absence d’attributs, ce serait bien si l’on avait la capacité de se dédoubler. On s’assiérait au fond du parterre pour se regarder soi-même sur la scène par-dessus l’épaule du spectateur. Ou bien on gagnerait quelque tertre garni d’herbe fraîche pour se contempler, au loin. On se verrait courir à toutes jambes dans la poussière des années, talonné par la lueur de petits épouvantails avec des culottes courtes, des chapeaux de paille, trois mots griffonnés. On verrait l’éclair froid de l’acier, la flamme atteindre le simulacre, des lambeaux de tissu voler dans tous les sens, un peu de fumée et ce qui est, d’une certaine manière, soi, le bonhomme tout nu avec son unique bouton, ses cloques et ses estafilades en train, déjà, de filer comme un rat en ramassant, dans sa course, des brindilles, des nippes, des mots pour bâcler, un peu plus loin, un nouvel épouvantail pareillement promis au fer et au feu.

Pierre Bergounioux, L’orphelin, Gallimard, pp. 27-28.

Élisabeth Mazeron, 4 juin 2010
échelle

On le voit, ce ne sont pas des projets étriqués car il ne convient à Grégor que d’affronter de vastes dimensions. Très tôt, parmi celles-ci, lui vient la certitude qu’il ferait bien par exemple un petit quelque chose avec la force marémotrice, les mouvements tectoniques ou le rayonnement solaire, des éléments comme ça – ou, pourquoi pas, histoire de commencer à se faire la main, avec les chutes du Niagara dont il a vu des gravures dans des livres et qui lui semblent assez à son échelle. Oui, le Niagara. Le Niagara, ce serait bien.

Jean Echenoz, Des éclairs, Minuit, p. 15.

Cécile Carret, 9 oct. 2010
question

J’étais assez peu décidé à retourner à Arles, et, quant à Marseille, je me trouvais face à la délicate question de m’y rendre pour acheter des chaussures avant, en quelque sorte, d’y être arrivé de manière naturelle, ou instinctive, ou encore globale, ou absolue, à savoir de ne pas y être arrivé fondamentalement tout en m’y trouvant de façon anecdotique. Inversement, j’avais besoin de mocassins maintenant, et non quand j’arriverais de façon naturelle à Marseille, de sorte que, tandis que je recherchais l’endroit où je m’étais garé, je m’exerçais à exclure mentalement, en dehors d’Arles, soit les mocassins, soit Marseille, aucune de ces solutions ne me paraissant satisfaisante.

Christian Oster, Rouler, L’Olivier, p. 132.

Cécile Carret, 30 sept. 2011
mathématiques

J’ai gardé de cette expérience une défiance certainement aussi injuste que ma haine enfantine envers l’Oulipo, comme si les petites mécaniques savantes de ces écrivains ingénieurs et mathématiciens avaient la prétention de mettre la littérature en coupe réglée. Je ne peux admettre cette alliance contre-nature, elle me révulse. Trahison ! C’est remettre les clés de la ville à l’ennemi qui encercle nos murs. C’est appareiller de prothèses métalliques notre corps élastique, c’est canaliser le fleuve sauvage au moyen de logiques conçues pour déterminer la durée de remplissage des baignoires, c’est contraindre la pensée enfin et juguler sa féconde digression.

Il existe pourtant une ivresse des mathématiques, me dit-on, une extase, une beauté pure, absolue, affranchie des contingences. Un nombre d’or ! Certains tableaux noirs couverts de chiffres seraient des tableaux de maître.

C’est possible.

Mais ne me laissez jamais entrer dans ce musée avec une éponge humide !

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 165.

Cécile Carret, 9 mars 2014
moraines

How little there has remained in me of my native country, constate le chroniqueur en passant en revue les rares souvenirs qui lui sont restés et qui suffisent à peine à rédiger la nécrologie d’un garçon disparu. La crinière d’un lion prussien, une bonne d’enfant prussienne, des cariatides portant la sphère terrestre sur leurs épaules, les bruits mystérieux de la circulation et les coups de klaxons remontant de la Lietzenburgerstrasse jusque dans l’appartement, le crissement de la conduite de chauffage central derrière le papier peint, dans le coin sombre où l’on devait se tenir face au mur lorsqu’on était puni, l’odeur infecte de l’eau de lessive dans la buanderie, un jeu de bille dans un espace vert à Charlottenburg, le café de malt, le chou-rave, l’huile de foie de morue et les bonbons à la framboise qu’il était défendu de prendre dans la boîte en argent de grand-maman Antonina — n’étaient-ce que des phantasmes, des fictions totalement inconsistantes ? Les sièges de cuir dans la Buick de grand-papa, l’arrêt de bus Hasensprung dans le Grunewald, la côte de la Baltique, Heringsdorf, une dune de sable entourée de pur néant, the sunlight and how it fell… Lorsque quelque fragment de cette sorte émerge des profondeurs par suite d’un glissement dans la vie de l’âme, on pense toujours qu’on va pouvoir se rappeler. Mais en réalité, on ne se rappelle évidemment pas. Trop d’édifices se sont écroulés, trop de gravats se sont accumulés, insurmontables sont les dépôts sédimentaires et les moraines.

Winfried Georg Sebald, Les anneaux de Saturne, Actes Sud, pp. 208-209.

David Farreny, 29 janv. 2015

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