endommagé

Ainsi parle Iñigo. Don Rui tire sa lame

Et lui fend la cervelle en deux jusques à l’âme.

L’autre s’abat à la renverse, éclaboussant

Sa mule et le chemin des flaques de son sang.

Et chacun s’émerveille, et crie, et s’évertue :

— Holà ! — Jésus ! — Tombons sur l’homme ! Alerte ! Tue !

— Haut les dagues ! — Par Dieu ! Toque et crâne, du coup,

Sont fendues jusques aux dents. — En avant, sus au loup !

— Saint Jacques ! dit le Roi tout surpris, cette épée,

Si lourd que soit le poing, est rudement trempée.

Mais ceci m’est fâcheux, et j’en suis affligé.

Don Iñigo, ce semble, est fort endommagé ;

Il gît, blême et muet, et sans doute il expire.

Leconte de Lisle, « L’accident de Don Iñigo », Poèmes barbares, Gallimard, p. 244.

Hubert Troupel, 29 août 2002
mais

Dégoût de ce qui est fait, de l’opera omnia. Sensation d’être en mauvaise santé, de déchéance physique. Courbe déclinante. Et la vie, les amours, où sont-ils ? Je conserve un certain optimisme : je n’accuse pas la vie, je trouve que le monde est beau et digne. Mais je tombe.

Cesare Pavese, Le métier de vivre, Gallimard, p. 451.

David Farreny, 24 mai 2003
dilemme

Dilemme : le fusil ou le travail.

Jean-Pierre Georges, Le moi chronique, Les Carnets du Dessert de Lune, p. 24.

David Farreny, 19 nov. 2006
ennui

L’ennui est, pour ainsi dire, le désir du bonheur laissé à l’état pur.

Giacomo Leopardi, « feuillet 3715 », Zibaldone, Le Temps Qu’il Fait.

David Farreny, 4 mars 2008
congé

J’étais devenu mon propre fantôme. À la façon des fakirs, capables de traverser une foule sans qu’on les remarque, ou du héros d’un conte de Chamisso, je ne projetais plus sur le sol aucune ombre, même aux lumières rasantes du lever et du couchant. Le monde était devenu irréel. Mes orbites étaient-elles vides ou le paysage, sous mes yeux, s’était-il évanoui ? Dieu et les maîtresses de maison me pardonnent : j’étais en train de prendre congé.

François Nourissier, Le musée de l’homme, Grasset, p. 15.

David Farreny, 21 avr. 2009
butée

Mandex saisit l’échantillon (était-ce un échantillon ?), le balança dans le coffre, claqua la porte, se ravisa, la rouvrit doucement dans l’espoir de prendre le bidule sur le fait, en défaut. Un rai de lumière s’insinua, tombant sur des petites collines mouvementées qui, peu à peu, ondulèrent puis s’étendirent mollement sur leur aire maximale comme un gaz plat, et s’affala sur le sol, rendit, en retard, son fameux chtkk, ou chploc, un son sec de chose pressée de se taire, sans o dans le floc, un son de consonnes, chplk ou simplement k, une façon butée de signifier qu’elle n’avait aucun rapport avec les choses qu’elle cognait, ou un refus de transmettre. Mais peut-être évoluait-elle dans l’ultrason, ou l’infra.

— Faudrait un chien, alloua Pétapernal.

Alain Sevestre, Les tristes, Gallimard, p. 110.

Cécile Carret, 10 déc. 2009
saisie

S’en tenir à ce qui est. Pas vraiment. S’en tenir, en écrivant, à la saisie la plus brute de ce qui est. Saisie miroitante. Ce qui est me contient. Il n’y a pas de réel éternel au-delà de ce transitoire pur que l’on voudrait parfois percer comme une croûte. Mais le ciel n’est pas une toile bleue ou grise, tendue, cachant on ne sait quelles coulisses.

Je suis ce qui est, et rien d’autre. Par contre, dans ce que je suis, il y a plusieurs mondes ou étages, comme on voudra la métaphore. Un homme est feuilleté ; il fait un tout parce qu’il faut, parce qu’il doit se simplifier, parce qu’on ne peut traiter avec une infinie agitation.

Le feuilleté ou l’immeuble sont encore des images trop approximatives, statiques. Je suis une incessante circulation dans « moi », somme virtuelle qui n’a pas plus d’existence que le réel en soi.

Quelle écriture, dès lors ? De poème en poème, poser des touches ; chacune d’entre elles vaut par elle-même et dans son rapport aux autres ; l’ensemble fera sens, souhaitons-le, à la fois mouvant et fermé, comme un mobile de Calder. Écrire est un mouvement perpétuel, pas éternel : vouloir fixer le tout est un leurre. L’instant aussi, une immobilisation, une photo plus ou moins floue, qui vaut mieux que rien. Mais cela n’arrête ni le mouvement de vivre, ni celui d’écrire ; c’est fixer du mort dès que fixer. En ce sens, l’entreprise démesurée de franchissement chez Reverdy ou du Bouchet est un sublime échec. La poésie ne peut pas dire l’en-soi ; elle est d’abord reconstruction langagière mais si elle s’en rend compte et le revendique radicalement (Ponge), elle se vide encore plus de matière pour tenter d’exister sur sa langue de terre.

En prendre acte. Il n’existe rien d’autre que des hommes qui se débattent.

Antoine Émaz, Lichen, encore, Rehauts, p. 40.

Cécile Carret, 4 mars 2010
hasard

À partir de Guttannen, le chemin est de plus en plus sauvage, désert et uniforme. Des deux côtés, ce ne sont que pierres nues et tristes. De temps à autre on aperçoit des sommets couverts de neige. Le sol plus égal forme parfois une vallée étroite et est encombré d’énormes blocs de granit. L’Aar présente quelques grandioses chutes d’eau qui s’effondrent avec une force effrayante. Au-dessus d’une de ces chutes, on a tendu un pont impressionnant où l’on est aspergé de gouttelettes. On voit ici de tout près la course puissante des flots jetés sur les rochers ; ceux-ci ressortent et on ne comprend pas comment ils peuvent résister à cette rage. Nulle part ne nous est offert un concept si pur de la nécessité naturelle qu’à la vue de cette course des flots jetés sur les rochers ; course éternellement continue et en l’absence continuelle de toute fin. Mais on voit que les côtés des rochers se sont arrondis peu à peu. On s’aperçoit également que la végétation souffre de plus en plus de la malédiction d’une nature dénuée de chaleur et de force. On ne rencontre plus de sapins, rien que des broussailles rabougries, des pins, des mousses, une misérable herbe, ou même pas, quelques mélèzes ou des cyprès. Des gentianes poussent en abondance à un endroit. Une famille cueille leurs racines et les brûle pour en faire de l’eau de gentiane. Cette famille vit ici l’été, à l’écart le plus complet des hommes ; elle a construit sa distillerie sous des blocs de granit que la nature a accumulés sans finalité et qui forment une tour ; les hommes ont su faire usage de cet emplacement de hasard.

Georg Wilhelm Friedrich Hegel, « jeudi 28 juillet 1796 », Journal d’un voyage dans les Alpes bernoises, Jérôme Millon, pp. 73-74.

David Farreny, 12 janv. 2011
opposé

Ils ne savaient reconnaître le crime que dans le parti opposé, cependant qu’ils tiraient gloire chez eux de ce qui chez l’adversaire méritait le mépris. Tandis que chacun tenait les morts des autres pour tout juste dignes d’être enterrés de nuit et sans lumière, il fallait que les siens fussent revêtus du suaire de pourpre, il fallait que retentisse l’eburnum et que l’aigle s’envole, qui s’élance vers les dieux, vivante image des héros et des croyants.

Ernst Jünger, Sur les falaises de marbre, Gallimard, p. 57.

Cécile Carret, 27 août 2013
post-it

Puis nous levons le nez et il nous apparaît que tout notre avenir tient sur quelques post-it collés sur un mur.

Éric Chevillard, « lundi 26 mai 2014 », L’autofictif. 🔗

Cécile Carret, 13 sept. 2014
sage

Ne serait-il pas plus sage d’emprisonner plutôt tous ceux qui n’ont encore tué personne ?

Éric Chevillard, « jeudi 11 avril 2024 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 13 avr. 2024

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