pays

Ah fromage voilà la bonne madame

Voilà la bonne madame au lait

Elle est du bon lait du pays qui l’a fait

Le pays qui l’a fait était de son village

Ah village voilà la bonne madame

Voilà la bonne madame fromage

Elle est du pays du bon lait qui l’a fait

Celui qui l’a fait était de sa madame

Ah fromage voilà du bon pays

Voilà du bon pays au lait

Il est du bon lait qui l’a fait du fromage

Le lait qui l’a fait était de sa madame

Benjamin Péret, « Le grand jeu », Œuvres complètes (1), Éric Losfeld, p. 71.

Guillaume Colnot, 27 mars 2003
reposoir

Mon sentiment géographique est le reposoir de toutes mes fidélités.

Renaud Camus, « dimanche 18 mai 1980 », Journal d’un voyage en France, Hachette/P.O.L., p. 247.

David Farreny, 30 juil. 2005
ou

Werner était glacé d’épouvante. Il sentit qu’il fallait maintenant livrer le dernier combat. Son outil allait et venait, étincelant, halluciné comme un fugitif, et parcourait les rainures déjà tracées d’où giclaient les copeaux. Il voulait arriver avant l’autre. Mais celui-là taillait avec un calme impitoyable et brutal, coup après coup, et détruisait sardoniquement chaque trait dessiné par Werner hors d’haleine. Enfin il sembla au malade que sa précipitation sans relâche, totalement vaincue, était désormais passée au service de l’ennemi. Alors il fut saisi par la colère du désespoir. Sa main droite, tremblante, assaillait le bois de chocs toujours plus sauvages et plus incohérents. Ses yeux ne la suivaient plus. Il les fixait vers l’extérieur, sur le visage rouge du soir, et il hurla : « C’est toi ou moi. » Pendant ce temps sa main droite, comme détachée de lui, s’activait toujours, et sa lame acérée ne donnait plus forme au bois dur. Il sculptait ses propres mains sanglantes.

Rainer Maria Rilke, Au fil de la vie, Gallimard, p. 123.

Élisabeth Mazeron, 17 janv. 2008
peu

Nuit noire, cadence de mes pas sur la route qui sonne comme porcelaine, froissement furtif dans les joncs (loir ? ou justement courlis ?), autour de moi, c’était bien ce « rien » qu’on m’avait promis. Plutôt ce « peu », une frugalité qui me rappelait les friches désolées du Nord-Japon, les brefs poèmes, à la frontière du silence, dans lesquels au XVIIe siècle, le moine itinérant Bashô les avait décrites. Dans ces paysages faits de peu je me sens chez moi, et marcher seul, au chaud sous la laine sur une route d’hiver est un exercice salubre et litanique qui donne à ce « peu » — en nous ou au-dehors — sa chance d’être perçu, pesé juste, exactement timbré dans une partition plus vaste, toujours présente mais dont notre surdité au monde nous prive trop souvent.

Nicolas Bouvier, Journal d’Aran et d’autres lieux, Payot & Rivages, p. 62.

Cécile Carret, 4 fév. 2008
tribunal

Mais j’ai peu de preuves à présenter au tribunal qui siège en moi et me somme, le soir, d’expliquer, si je peux, ce que j’ai fait de ma journée.

Pierre Bergounioux, « mercredi 31 août 1983 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 241.

Élisabeth Mazeron, 28 sept. 2008
salamandre

La salamandre ne soupçonne rien de la moucheture noire et jaune de son dos. Il ne lui est pas venu à l’esprit que ces taches sont disposées en deux chaînettes ou se rejoignent en une seule sente compacte en fonction de l’humidité du sable, de la nuance vivante ou mortuaire du terrarium.

Ossip Mandelstam, Voyage en Arménie, L’Âge d’Homme.

Guillaume Colnot, 19 mai 2009
pivot

Selon la traduction de l’Odyssée proposée par Victor Bérard, Homère évoque avec la même régularité « l’aurore aux doigts de rose » et les « vagues vineuses ». La qualification retenue pour la mer rappelle la couleur des vagues où le mauve se mêle au violacé, suivant l’inclinaison du plateau marin, et l’état du ciel. Également, l’enivrement que procure le battement obstiné de la mer contre les rivages, sans le déroulement honorable que serait l’engloutissement du globe. Pour peu que le vent se lève et que la mer devienne houleuse, celui qui navigue est saisi, parfois même jusqu’à en avoir un haut-le-cœur, par l’instabilité du pont ; il suffit même de contempler, depuis le haut d’une falaise, le flux et le reflux, pour percevoir dans son corps, jusqu’à la nausée, la fragilité du sol. Et dans sa conscience, la certitude affligeante que, de ce monde, la créature humaine n’est pas le pivot.

De toute sa hauteur, chacun mesure le sol.

Jean Roudaut, « Ce qu’il reste des livres », « Théodore Balmoral » n° 58, automne-hiver 2008, p. 202.

David Farreny, 10 nov. 2009
personnage

Pendant deux ou trois heures, j’ai eu le sentiment d’être et de ne pas être celui auquel on s’adressait. Non seulement parce que je jouais un personnage, ce qui nous arrive à tous chaque jour et qui est mon sport favori depuis quelques temps, mais parce que je me disais, au moment même où je dégoisais mes mensonges à propos de mon déménagement, de mes projets d’avenir et de mes vacances prochaines dans ma famille, que je n’étais rien d’autre que ce personnage. Je mentais, c’est sûr, mais, derrière mes mensonges, il n’y avait rien.

Marc Augé, Journal d’un S.D.F. Ethnofiction, Seuil, p. 76.

Cécile Carret, 27 fév. 2011
pennes

je vis les noirs martinets

tourner dans un ciel d’orage

en criant criant mais n’est-

ce pas d’un sombre présage ?

au matin j’étais à Vienne

sur le Rhône un aigle noir

labourait l’air de ses pennes

pour revoir Montélimar

mais soudain il dériva

comme un cerf-volant qui casse

sa ficelle et s’en reva

vers de plus vastes espaces

William Cliff, « Montélimar », Immense existence, Gallimard, p. 41.

David Farreny, 30 mai 2011
ou

Je couvre, à grand-peine, trois pages. Il me semble me mouvoir dans le vide, fouler un sol aride, ébouleux pour atteindre quelque chose qui se trouve — ou ne se trouve pas — à une distance indéterminée qu’il faut franchir pour que la rencontre ait lieu — ou non.

Pierre Bergounioux, « dimanche 7 novembre 2004 », Carnet de notes (2001-2010), Verdier, p. 528.

David Farreny, 2 fév. 2012
usées

Fausses beautés qui tant troublèrent notre chair

fausses beautés qui tant, un jour, nous furent chères

pénélopes usées, juliettes avachies

— aviez-vous eu pitié du voyageur ? A-t-il

eu pitié de vos chairs molles et misérables

ô mal-aimées ? flottant sur l’eau comme des algues

sœurs des brouillards verdâtres et des fanaux douteux

— vies sans importance !

— parapluies oubliés !

Benjamin Fondane, « Ulysse », Le mal des fantômes, Verdier, p. 60.

David Farreny, 21 juin 2013
fatigue

Je ne lutte pas contre le monde, je lutte contre une force plus grande, contre ma fatigue du monde.

Emil Cioran, « Écartèlement », Œuvres, Gallimard, p. 967.

David Farreny, 7 mars 2024

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