Pour la plupart, nous apprécions l’amour de nos semblables, au titre de reconnaissance nécessaire ou de divine surprise. Nous avons été élevés pour ça, d’une façon ou d’une autre, selon la voie du manque ou celle du trop-plein, peu importe, au bout du compte nous aimons être aimés, et nous aimons aimer, à tort et à travers et à nos dépens, mais enfin avec entêtement, avec récidive et avec préméditation. L’amour nous plaît, son bruit de chaînes et ses fruits de saison. Et tant mieux. Rien n’est plus désolant que de détester l’amour.
Marie Desplechin, Sans moi, L’Olivier, p. 10.
Soyons joyeux, il y a une loi morale.
Cesare Pavese, Le métier de vivre, Gallimard, p. 76.
Il ne se passe rien, même quand il se passe quelque chose.
Henri Michaux, « En marge d’En rêvant à des peintures énigmatiques », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 718.
Le Nombre augmente.
Uniformément l’œuf, par myriades, l’œuf, les sorties de l’œuf ; famille pour les besoins de l’œuf, famine pour les besoins de l’œuf, chaîne sans fin, manivelle venue des désirs. Que d’ovaires offerts de par le monde !
Henri Michaux, « Chemins cherchés, chemins perdus, transgressions », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 1182.
Pourquoi se corriger, se repentir ? La nature s’en charge.
Paul Morand, « 25 juin 1970 », Journal inutile (1), Gallimard, p. 408.
Langre accélérait sur la rocade, gonflé par les rayons du jour qui déclinait comme des forces. […] Langre roulait. Langre doublait, Langre tapotait parfois le klaxon qui poussait un cri de poule artificielle.
Luc Blanvillain, Olaf chez les Langre, Quespire, p. 99.
Je ne veux rien savoir de plus. Je me laisse guider. Ne rien savoir de la collusion organisée de toutes ces données transformées en ondes électromagnétiques qui viennent se fracasser mathématiquement dans le boîtier noir de la voiture de location pour ordonner ma route. J’ai coupé le son, je me confie à l’image, au ruban infini qui se déploie sur l’écran du GPS pour avancer dans ce pays inconnu. Pas d’obstacles, une merveilleuse illusion de continuité, représentation parfaite de la bêtise, d’autres diraient représentation acceptable de la réalité. The magic box, m’avait dit le garagiste. J’ai entendu dire que le GPS est en train de modifier en profondeur la perception que nous avons de notre positionnement et de la manière dont nous allons d’un endroit à un autre. La notion même d’itinéraire deviendrait aujourd’hui problématique, certains, par extension, allant même jusqu’à être persuadés que tout est localisable, temps et sentiments compris. Il est de plus en plus difficile, semble-t-il, d’accepter de ne pas savoir où l’on est, et par voie de conséquence il est de plus en plus difficile de savoir où l’on est. L’usage des cartes, des légendes, le maniement des échelles, le sens de l’orientation et le représentation de soi dans le paysage, tout cela tient désormais à un seul trait fluide de couleur rose ou verte qui se dévide placidement dans le silence de ses erreurs inaperçues. Sur les derniers kilomètres, je coupe tout et je reste concentrée. C’est là. Ce pourrait être là.
Nathalie Léger, Supplément à la vie de Barbara Loden, P.O.L., p. 121.
Holberg disait déjà (Lettres, t. V, lettre I) : ce n’est point la volonté mais le corps qui fait de moi un non-conformiste.
Georg Christoph Lichtenberg, Le miroir de l’âme, Corti, p. 192.