Vaisseaux des ports, steamers à l’ancre, j’ai compris
Le cri plaintif de vos sirènes dans les rades.
Sur votre proue et dans mes yeux il est écrit
Que l’ennui restera notre vieux camarade.
Vous le porterez loin sous de plus beaux soleils
Et vous le bercerez de l’équateur au pôle.
Il sera près de moi, toujours. Dès mon réveil,
Je sentirai peser sa main sur mon épaule.
Jean de La Ville de Mirmont, L’horizon chimérique, La Table Ronde, p. 22.
Sentiment de l’infini, de la présence de l’infini, de la proximité, de l’immédiateté, de la pénétration de l’infini, de l’infini traversant sans fin le fini. Un infini en marche, d’une marche égale qui ne s’arrêtera plus, qui ne peut plus s’arrêter. Cessation du fini, du mirage du fini, de la conviction illusoire qu’il existe du fini, du conclu, du terminé, de l’arrêté. Le fini soit prolongé, soit émietté, partout pris en traître par un infini traversier, débordant, magnifique annulateur et dissipateur de tout « circonscrit », lequel ne peut plus exister.
Henri Michaux, « Connaissance par les gouffres », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 12.
De temps en temps un de nous, adjudant, sergent, soldat, pris d’une émotion timide, à la lecture d’une lettre ou à l’apparition d’un souvenir, se met à parler de ses amis, de son passé, de sa vie civile. Ça tombe dans un silence sépulcral. Les autres écrivent, regardent par la fenêtre, s’en foutent éperdument. La voix du type semble maigrelette. Elle finit par s’éteindre de consomption et le type reste interdit, muet, un vague sourire gêné aux lèvres. Puis il se détourne et se remet au travail.
Jean-Paul Sartre, « lundi 13 novembre 1939 », Carnets de la drôle de guerre, Gallimard, p. 185.
Qu’était-ce donc que la vie ? Elle était chaleur, chaleur produite par un phénomène sans substance propre qui conservait la forme ; elle était une fièvre de la matière qui accompagnait le processus de la décomposition et de la recomposition incessantes de molécules d’albumine d’une structure infiniment compliquée et infiniment ingénieuse. Elle était l’être de ce qui en réalité ne peut être, de ce qui oscille en un doux et douloureux suspens sur la limite de l’être, dans ce processus continu et fiévreux de la décomposition et du renouvellement.
Thomas Mann, La montagne magique, Fayard, pp. 316-317.
Il résiste. Regarde ailleurs.
Par la fenêtre.
Elle aussi.
Il voit s’en aller ce qu’elle voit venir.
Elle voit commencer ce qu’il voit finir.
Ça ne l’avance guère.
Il sent qu’il commence à penser. Il faut faire quelque chose. Quoi ? Je ne sais pas. Si. Regarder à droite, mais attention, en prenant le soin de bien fermer les yeux quand tu passeras devant elle.
Il essaie. Tout se passe bien. Il est passé. Il regarde à droite.
Christian Gailly, Les fleurs, Minuit, p. 55.
La même doctrine doit servir sous la lumière méridienne et dans les moments livides.
Seul est vérité ce qui vaut indistinctement pour l’âme affligée comme pour l’exaltée.
Nicolás Gómez Dávila, Scolies à un texte implicite, p. 266.
Jamais, en revanche, on ne cherche une bonne raison de se coucher le soir.
Éric Chevillard, « mercredi 10 février 2021 », L’autofictif. 🔗