rêva

Vers la fin de sa vie, Lovecraft rêva qu’il grimpait, en compagnie d’un groupe d’hommes en costume médiéval, sur les toits d’une vieille ville pour poursuivre une « Chose marquée par le sceau du mal originel » ; qu’il s’approchait d’un tramway pour découvrir que celui-ci transportait des êtres au visage conique se terminant par un tentacule rouge ; qu’il rencontrait un clergyman maléfique dans un grenier rempli de livres interdits ; qu’une troupe de sinistres magiciens noirs en tenue de soirée lui rendait visite ; qu’il retournait à son ancienne maison du 598, Angell Street pour la trouver en ruine et entendre des pas traînants dans son ancienne chambre ; qu’il était attaqué par des insectes qui lui transperçaient le cerveau et lui procuraient ainsi des visions d’autres mondes ; qu’il se retrouvait dans la peau d’un chirurgien de 1864, le docteur Eben Spencer, lequel découvrait qu’un autre médecin se livrait à des expériences dignes de celles du fameux Frankenstein ; qu’il assistait, du haut d’un château, à une bataille entre deux armées de guerriers fantômes ; et, enfin, qu’il se voyait offrir un million de livres sterling par le conservateur d’un musée pour un bas-relief d’argile qu’il venait de faire lui-même.

Lyon Sprague De Camp, H. P. Lovecraft. Le roman de sa vie, Durante, p. 627.

Guillaume Colnot, 17 juil. 2002
coffre

Quand le coffre s’ouvre, il emporte ma main avec lui.

Nathalie Quintane, Remarques, Cheyne, p. 11.

David Farreny, 27 août 2006
petit

Songeons seulement aux sentiments que nous éprouvons en lisant un beau roman (de Walter Scott, par exemple). Quelle beauté, quelle sublimité, quel intérêt, quelles émotions déchirantes ! On pourrait croire que les sentiments que l’on éprouve alors dureront toujours, ou qu’ils soumettront l’esprit à leurs propres couleur et harmonie. Tandis que nous lisons, il semble que rien ne pourra nous tirer hors de notre carrière ou nous troubler ; et puis, à la première tache de boue qui nous éclabousse en sortant dans la rue, à la première pièce de deux pence dont nous sommes volés, le sentiment s’évanouit complètement de notre esprit et nous devenons la proie de cette insignifiante et fâcheuse circonstance. L’esprit prend son essor vers le sublime ; il est chez lui dans le vil, le désagréable et le petit.

William Hazlitt, Sur le sentiment d’immortalité dans la jeunesse, Allia, p. 46.

Élisabeth Mazeron, 28 nov. 2007
âme

J’étais dans l’incapacité totale de réfléchir avec mesure et de m’accrocher à une explication. Je découvrais, d’un coup, que le monde m’avait lâché et je me tenais sur son bord comme au-dessus d’un abîme qui me fascinait et m’aspirait et me hantait de terreur. Ce mur vidé de sa matière et réduit à sa fantomatique blancheur d’avant toute forme s’ouvrait en vertige dans l’intime profondeur de mon corps. J’en étais malade. Je me trouvais devant lui comme devant une fenêtre dont l’appui aurait disparu, avec l’appréhension d’une chute inévitable et le sentiment de la vanité qu’il y avait à vouloir en reculer l’échéance. Et cependant je ne tombais pas. Je me tenais encore debout, tout contre, les jambes molles, la gorge sèche, l’estomac chaviré, tout le corps inondé d’une sueur glacée. Peut-être un cri cherchait-il son issue dans cette débâcle de la chair. Mais il ne vint pas. Il ne vint jamais. Il demeura et demeure encore en moi comme un pur possible soumis à la phrase qui l’enveloppe, le retient, le porte à ses limites sans jamais le laisser fuser. Et l’âme, si elle est, n’est rien d’autre.

Claude Louis-Combet, Blanc, Fata Morgana, pp. 61-62.

Élisabeth Mazeron, 15 mars 2010
figures

M’installe au bureau, dans la nuit profonde, et peine à repartir, après la triste interruption de vendredi. J’essaie de décrire l’espèce d’idole peinte qui tenait la Parfumerie Bleue puis passe aux hommes, à ces commerçants qu’on voyait plantés sur leur pas de porte, comme des figures barométriques, et sous le regard desquels il fallait passer. Ça m’agaçait. Je sentais confusément les atteintes d’un pour-autrui que les étroites, les mesquines cervelles où il se formait rendaient amer, mal assimilable. On devenait, à son corps défendant, un personnage du texte médiocre, tout intérieur, que ces contemplatifs rogues brochaient, du matin au soir, à partir des péripéties, non moins médiocres, répétitives, du spectacle de la rue. Le bonheur, la liberté que j’éprouvais, deux ou trois jours durant, entre la fin juillet et le début août, tenaient à ce qu’ils étaient momentanément absentés, partis en vacances. Le monde était purgé des interprétations dénigrantes ou malignes, des regards urticants qui lui conféraient une partie de sa réalité.

Pierre Bergounioux, « samedi 21 septembre 2002 », Carnet de notes (2001-2010), Verdier, p. 285.

David Farreny, 26 janv. 2012
rien

Dès ce premier jour, j’ai donc apporté à Duch une cinquantaine de pages : sur chacune, j’avais copié un slogan de l’Angkar. Je lui ai demandé d’en retenir un seul. Certains sont menaçants ; d’autres énigmatiques ou d’une froide poésie. Il a mis ses lunettes, et a parcouru l’ensemble. Il semblait hésiter. Puis il a posé sa main sur une page et a lu doucement : « À te garder, on ne gagne rien. À t’éliminer, on ne perd rien. » Il a regardé au plafond : « C’est une phrase importante. Une phrase très profonde. Ce slogan vient du Comité central. » Puis il a ajouté : « Vous avez oublié un slogan encore plus important : la dette de sang doit être remboursée par le sang. » J’étais surpris : « Pourquoi celui-ci ? Pourquoi pas un slogan plus idéologique ? » Duch m’a fixé : « Monsieur Rithy, les Khmers rouges, c’est l’élimination. L’homme n’a droit à rien. »

Rithy Panh, L’élimination, Grasset, p. 98.

Cécile Carret, 7 fév. 2012
triomphe

L’Arc révèle le vide de tout Triomphe.

Petr Král, Cahiers de Paris, Flammarion, p. 195.

David Farreny, 2 avr. 2013
la

L’immense lenteur du monde. La rapidité de la mort.

Emmanuelle Guattari, Ciels de Loire, Mercure de France, p. 17.

Cécile Carret, 22 sept. 2013
infaillible

Si on avait une perception infaillible de ce qu’on est, on aurait tout juste encore le courage de se coucher mais certainement pas celui de se lever.

Emil Cioran, « Écartèlement », Œuvres, Gallimard, p. 994.

David Farreny, 7 mars 2024

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