Ma mère […]. Elle a tout fait pour que je vive, c’est naître qu’il aurait pas fallu.
Louis-Ferdinand Céline, Mort à crédit, Le Livre de poche, p. 43.
Émancipée du grand héritage tragique, comique et romanesque, la pensée ne sait plus problématiser la vie. Elle ne sait plus en éclairer les contradictions, en explorer les paradoxes, en suivre les tortuosités, en capter les nuances. Elle ne sait plus faire droit à l’ambiguïté des êtres ni à l’indécidabilité des comportements. Spectaculairement ouverte aux différences, mais définitivement fermée aux apories, elle n’est capable, la malheureuse, que de brandir triomphalement la solution du problème humain.
Alain Finkielkraut, L’ingratitude, Gallimard, pp. 200-201.
Lorsque au soleil couchant les rivières sont roses
Et qu’un pâle rayon court sur les champs de blé,
Un conseil d’être heureux semble sortir des choses
Et monter vers nos cœurs troublés.
Un conseil de goûter le charme d’être au monde
Cependant qu’on est jeune et que le soir est beau,
Car nous nous en allons comme s’en va cette onde,
Elle à la mer, nous au tombeau.
L’ethnologie ne sert qu’à l’évacuation des résidus sexuels de l’Occident.
Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 45.
Levé avec la farouche résolution de rattraper le temps que j’ai perdu, cette semaine, pour cause de métier.
Pierre Bergounioux, « dimanche 11 novembre 1984 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 354.
Le journal “responsabilise”, de façon générale — celui qui le tient, bien sûr, mais aussi ceux qui savent qu’il est tenu. Il est un témoin, dont on sait qu’il est là, qu’il vous voit et qu’il vous entend. Il m’est souvent arrivé de ne pas faire certaines choses parce que j’aurais eu honte de les rapporter ici.
Renaud Camus, « samedi 28 juin 2003 », Rannoch Moor. Journal 2003, Fayard, p. 337.
Est-ce qu’une sonnerie de téléphone ou une mouche ne risquent pas d’arracher quelqu’un à sa lecture au moment précis où toutes les parties constituantes convergent vers l’unité d’une solution dramatique ? Et que se passera-t-il si le lecteur voit son frère, supposons, entrer dans sa chambre pour lui dire quelque chose ? La noble tâche de l’écrivain est gâchée à cause d’un frère, d’une mouche ou d’un téléphone. Pouah, vilaines mouches, pourquoi vous attaquer à une race qui n’a plus de queue pour s’en débarrasser ? Considérons ceci de surcroît : cette œuvre unique et exceptionnelle que vous avez élaborée, ne fait-elle pas partie d’un ensemble de trente mille autres, non moins uniques, qui paraissent chaque année avec régularité ? Détestables parties ! Devons-nous construire un tout pour qu’une parcelle de partie de lecteur absorbe une parcelle de partie de cette œuvre, et encore partiellement ?
Witold Gombrowicz, Ferdydurke, Gallimard, p. 105.
L’avenir est difficile.
Pierre Bergounioux, « vendredi 2 août 1996 », Carnet de notes (1991-2000), Verdier, p. 738.
Le tourisme se détruit lui-même. C’est là la règle générale.
Renaud Camus, Le département de la Lozère, P.O.L., p. 32.
La fatigue agit comme le fixateur sur l’épreuve photographique ; l’esprit, qui perd une à une ses défenses, doucement stupéfié, doucement rompu par le choc du pas monotone, l’esprit bat nu la campagne, s’engoue tout entier d’un rythme qui l’obsède, d’un éclairage qui l’a séduit, du suc inexprimable de l’heure qu’il est.
Julien Gracq, Lettrines (II), José Corti, p. 50.
Si cela était vrai, que gagnerions-nous à la fin ? Rien qu’une vérité nouvelle. Nous avons déjà assez d’anciennes vérités à digérer, et même celles-là, nous ne serions tout bonnement point capables de les supporter, si nous ne les rehaussions parfois du goût des mensonges.
Georg Christoph Lichtenberg, Le miroir de l’âme, Corti, p. 252.
Les choses souvent répétées ne sont plus réellement vécues, elles sont jouées, elles sont mimées – ainsi de certaines habitudes sur les lieux de vacances familiers. Nous nous y livrons sans engagement, presque sans conscience, fantômes en visite déjà dans notre propre existence.
Éric Chevillard, « vendredi 28 avril 2023 », L’autofictif. 🔗