Moi, pas inquiet, je continuais à « être ». Sans plus. C’était beaucoup.
Henri Michaux, « Connaissance par les gouffres », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 21.
Ma vie est faite. Voici l’ubac.
Pierre Bergounioux, « jeudi 25 mai 1989 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 795.
La simple présence proche suffit amplement.
Étant gravement atteint de crise d’étouffement, j’en louai moi-même une sur les indications de mon conseiller. Son épaule et la naissance de sa poitrine exquise, voilà la zone touchée qui me fit le plus grand bien, et le plus prompt.
Cette fille simple et d’un charme qui allait loin ne fit durant le traitement que lacer et délacer une jambière, mais très modestement.
Elle me regardait de temps à autre, puis sa jambe, ne disant rien, et ses sentiments me demeurèrent inconnus.
Henri Michaux, « Ailleurs », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 95.
Les maisons qui nous tournent le dos comme un jeu de dominos
nous montreront leurs jardinets au moment de quitter la ville :
des trampolines pour enfants, des gibets de basket
et une fureur d’algues verdissantes
dans la pataugeoire où un ballon dégonflé
n’est pas sans me rappeler les nymphéas de Monet à Giverny,
mouchetés de soleil. Et puis plus rien.
Le bleu du ciel, sans esprit de suite.
Deux minutes. Et ces pinces à linge sur un fil :
des guillemets enserrant l’après-midi vacante.
Patrick McGuinness, « Marbehan », « Théodore Balmoral » n° 61, hiver 2009-2010, p. 161.
Ses escaliers crèvent les plafonds ; puis j’enrage de manquer d’imagination pour deviner où ils mènent et visiter cette étoile.
Éric Chevillard, Dino Egger, Minuit, p. 104.
Aucune illumination pour moi, enchaîné par moi-même, c’est-à-dire par la seule force qui puisse me libérer. Alors comment faire ? Se détruire en laissant une adresse où se retrouver. Quelle adresse ? Qui a mon adresse ? Qui saura tout ce que j’ai su ?
Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 140.
Mais je sens que je t’ennuie. Et je ne mérite même pas ta pitié. Sois heureuse et laisse-moi mourir.
Et monsieur Songe en relisant cette lettre est au bord du désespoir.
Il ajoute pourtant en post-scriptum il faudrait un coup de théâtre mais je me demande s’il en existe ailleurs que dans les mots.
Remarque d’une profondeur telle qu’elle effraie monsieur Songe et qu’il pense la biffer.
Mais il ne la biffe pas, elle sera faite pour toujours.
Robert Pinget, Monsieur Songe, Minuit, p. 61.
Ces jours de rien, sans rien, sans signes particuliers, et d’ailleurs sans signes du tout, ces jours traînés, oscillants, nuls, si nombreux – peut-être que c’est d’eux qu’il faudrait partir pour saisir le fil rouge, mais d’un rouge pâli, éteint, qui tient tout ensemble : tout, non pas l’édifice (quel édifice ?), mais les feux lointains et les feux rapprochés, les élans et les retombées, le cœur de la fabrique et les copeaux errants, la pensée : là où elle n’a pas d’air ni d’allure, là où elle est stoppée, rongée, négative, incapable de parvenir jusqu’à une aire qui ne serait pas celle des bribes, des commencements et des repentirs mais celle d’une sorte – oui – d’envol, de vol plané…
Jean-Christophe Bailly, Tuiles détachées, Mercure de France, p. 7.
Rien ne sert de courir, peut-être, en tout cas ceci est une terrine de lièvre.
Éric Chevillard, « lundi 26 septembre 2016 », L’autofictif. 🔗
L’engagement n’est rien, l’assaut, quotidien, solitaire contre les normes changeantes de toute société est tout.
Philippe Louche, « 18 mai 2020 », Rien (ou presque). 🔗