ligne

On peut se lasser de poursuivre l’impossible étreinte des idées, comme d’autres désespèrent d’atteindre l’impossible accord des âmes. On peut douter de tout sauf des mots, dont on a besoin pour douter ; ils n’ont peut-être aucun pouvoir définitif, mais un admirable éblouissement de surface dont un cœur simple a le droit de s’enchanter. Un beau texte est comme une eau marine ; sa couleur vient du reflet de son fond sur sa surface, et c’est là qu’il faut se promener, et non dans le ciel ou dans les abîmes ; il faut bien admettre que les idées sont toujours plus haut ou plus bas que la ligne des mots, et cette térébrante oscillation est source de détresse ; mais la ligne des mots est belle.

Roland Barthes, « Réflexion sur le style de L’étranger », Œuvres complètes (1), Seuil, p. 75.

David Farreny, 31 oct. 2004
don

Le don de soi est le secret pour traverser l’affolant.

Henri Michaux, « Les grandes épreuves de l’esprit et les innombrables petites », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 420.

David Farreny, 8 déc. 2005
conversation

Mme d’Heudicourt, observe Saint-Simon, n’avait de sa vie dit du bien de personne qu’avec « quelques mais accablants ».

Merveilleuse définition, non pas de la médisance, mais de la conversation en général.

Emil Cioran, De l’inconvénient d’être né, Gallimard, p. 132.

David Farreny, 13 oct. 2006
langage

Mes sentiments dépendent du langage que je choisis.

Renaud Camus, « vendredi 16 avril 1976 », Journal de « Travers » (1), Fayard, p. 115.

David Farreny, 17 août 2007
espérance

Pourquoi ne pouvons-nous pas tout arrêter, nous rendre invisible, inaudible, saborder tout contact avec le siècle ? À cause de l’absurde espérance, bien sûr : elle nous force à maintenir ouverts les canaux qui nous relient à lui ; car le départ est impossible à faire, en eux, de ce qui ne peut que nous importuner affreusement, la bureaucratie d’exister, tellement paperassière, elle aussi, tatillonne, dure d’oreille, et du miracle qui nous rendrait la paix. Aussi sommes-nous forcés de laisser tourner les machines d’être au monde, mais à leur régime le plus doux, le plus simple. Toute phrase est encore trop : ce qu’écrivant je parle nécessaire d’un autre, de l’autre, puisque je ne cesse, pour ma part, d’en sécréter sans y penser, comme on voit.

Renaud Camus, Le lac de Caresse, P.O.L., pp. 34-35.

Élisabeth Mazeron, 7 fév. 2009
oreilles

Un signe de vieillissement que je remarque depuis assez longtemps : mes oreilles s’agrandissent. L’homme montre, en prenant de l’âge qu’il n’est qu’un âne.

Pierre Drieu La Rochelle, « Journal 1944-1945 : 1er février », Récit secret. Journal 1944-1945. Exorde, Gallimard, p. 81.

Élisabeth Mazeron, 20 juin 2009
hameçon

De plus il y a toujours sa haine absolue des bijoux dont le tintement l’agace, la brillance l’aveugle et le coût le consterne. L’horrifient spécialement les boucles d’oreilles, dont l’hameçon planté dans la chair le glace, et plus encore les perles qui, par leur origine huîtrière et leur consistance lactée, lui répugnent sans mélange. Mais les personnes du sexe, n’y entendant rien et rivalisant de parures pour le séduire, jouent ainsi chaque fois un peu plus contre elles-mêmes avant de repartir bredouilles, cachant leur désarroi sous des œillades complices bien qu’éteintes, des rires pailletés mais détimbrés.

Jean Echenoz, Des éclairs, Minuit, p. 89.

Cécile Carret, 11 oct. 2010
vêtement

Seul l’amour pouvait m’amener à vouloir être quelqu’un d’autre, et encore n’était-ce que dans l’exultation sensuelle ; pour le reste, la vie d’autrui ne nous paraît le plus souvent qu’un vêtement sale ou, si elle nous intéresse, c’est pour nous demander comment on pourrait être autrui, comme moi qui, cette nuit-là, voulais savoir comment on peut être suédois, et mon imagination ne trouvant de réponse que dans le respectueux désir que, las et seul, j’avais eu que mon hôtesse me prenne dans ses bras, me serre contre elle, murmure à mon oreille des mots qu’aucune femme n’avait encore prononcés et que je ne connaissais que par les livres.

Richard Millet, La fiancée libanaise, Gallimard, p. 371.

David Farreny, 27 sept. 2012
assaut

L’engagement n’est rien, l’assaut, quotidien, solitaire contre les normes changeantes de toute société est tout.

Philippe Louche, « 18 mai 2020 », Rien (ou presque). 🔗

David Farreny, 26 fév. 2024

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