polyèdres

C’est son défaut d’accommodation à cette constante double valence de toutes notions et c’est son entêtement à éliminer les envers qui mettent la pensée de l’occidental en même situation qu’une géométrie plane en regard des polyèdres.

Jean Dubuffet, Asphyxiante culture, Minuit, p. 45.

David Farreny, 14 avr. 2002
vérifier

On rentre par Bassoues, par Montesquiou, Barran. Qu’importe qu’on ne voie plus très bien les créneaux sur les tours, et les torsions de la flèche, sur le clocher ? On connaît déjà ces petites villes obscures, et les hautes pierres dont elles sont fières. Il ne s’agit que de les vérifier dans la nuit, et de s’en réjouir encore obscurément.

Renaud Camus, « dimanche 3 janvier 1993 », Graal-Plieux. Journal 1993, P.O.L., p. 12.

David Farreny, 1er août 2002
mobiles

Il y aura un plaisir supplémentaire à triompher et à s’enivrer de ce dont la plupart s’ennuient. Pour lire les Classiques, tous les mobiles sont bons, car ils ne trompent, n’abusent, ni ne déçoivent ; on peut donc déjà recommander de les lire par vanité.

Roland Barthes, « Plaisir aux classiques », Œuvres complètes (1), Seuil, p. 57.

David Farreny, 11 sept. 2004
cependant

Cependant il faut essayer, forçant sa voix vers la gaieté, vers l’attention, la légèreté, la maîtrise de soi, de ne sembler pas trop fou, pas trop absent, pas trop détaché du monde et de tous ceux de ses minuscules coups de théâtre qui n’affectent en rien le seul essentiel qui vaille, et qui fait tout votre petit malheur. Il faut tâcher de répondre aux questions quelles qu’elles soient, et même d’en poser deux ou trois, pour la bonne mesure, en s’efforçant de ne pas oublier d’attendre les réponses. Vos paroles néanmoins sortent tout de travers, vous avez un chat dans la gorge, vos silences même surviennent mal à propos, se chargeant apparemment, sans qu’on les ait priés de rien, de messages qui sont bien les derniers, même, que vous vous seriez soucié d’émettre.

Renaud Camus, Le lac de Caresse, P.O.L., p. 34.

Élisabeth Mazeron, 7 fév. 2009
rien

Le rien défini comme pure absence de choses porte un autre nom, l’effroi ou le vertige. Le rien est donc plutôt le refus des choses après examen. Un examen succinct, dégoûté, un examen malgré tout, une estimation. Non, non, non et non, dit le rien, sans passion, sans colère, mais une fermeté que l’on n’attendrait pas d’une notion aussi lâche. Non, c’est non. Et il n’y a pas de mais.

Éric Chevillard, Dino Egger, Minuit, p. 43.

Cécile Carret, 29 janv. 2011
cristal

Alors qu’on voit sur Mercure, sur Vénus, des nuages, des vicissitudes atmosphériques vivantes, la Lune est dépourvue de nuages, de mers, de fleuves, et, pourtant, des nappes d’eau, des filons d’argent se laissent très bien reconnaître en elle. On voit fréquemment sur la Lune des points lumineux passagers, que l’on tient pour des éruptions volcaniques ; il faut assurément pour cela une sorte d’air, mais qui soit une atmosphère sans eau. Heim, le frère du médecin, s’est efforcé de montrer que, si l’on se représente la Terre d’avant les révolutions géologiques prouvables, elle a la figure de la Lune. La Lune est le cristal sans eau qui cherche, en quelque sorte, à s’intégrer à notre mer, à étancher la soif de sa rigidité, et, pour cette raison, provoque flux et reflux. La mer s’élève, elle est sur le point de s’enfuir vers la Lune, et la Lune est sur le point de l’attirer à elle.

Georg Wilhelm Friedrich Hegel, « Des manières de considérer la nature (additions) », Encyclopédie des sciences philosophiques, II. Philosophie de la nature, Vrin, p. 403.

David Farreny, 28 fév. 2011
heurté

Elle portait le costume ordinaire des Laponnes, et n’y avait ajouté pour la solennité qu’une coiffe-casque ornée de petites plaques d’argent, derrière laquelle pendait une énorme touffe de rubans de coton tramés de cuivre et d’argent. Les libéralités de sa famille ou de son fiancé lui avaient, en outre, permis d’attacher après elle une quantité de petits fichus de laine ou de coton de fabrique anglaise, choisis des couleurs les plus éclatantes. Tout cela était accroché autour d’elle pêle-mêle, comme à un portemanteau, et ces tons tranchés, ces lambeaux flottants, ce désordre criard et heurté, contribuaient à rendre son costume aussi disgracieux que sa personne.

Chacun se tenait debout et en silence autour de la chaire. Bientôt le ministre arriva. Il lut les versets consacrés, unit les mains des époux, échangea leurs anneaux, puis leur fit en langue laponne une allocution qui dut être touchante, car tout le monde se mit à pleurer à chaudes larmes.

Mon ignorance de la rhétorique laponne ne me permit pas de prendre part à l’émotion générale ; mais en regardant les contorsions de physionomie de tout cet horrible petit monde, j’entrevis à la laideur humaine des horizons variés et infinis que je n’avais même pas soupçonnés jusqu’alors.

Cette partie de la cérémonie achevée, le marié retourna au milieu de ses amis d’un côté de l’église, et la mariée près de ses compagnes de l’autre ; puis toute l’assistance entonna un psaume d’une voix fausse et rauque à faire fuir des ânes.

Léonie d'Aunet, « Lettre V. Les Lapons », Voyage d’une femme au Spitzberg, Hachette, p. 143.

David Farreny, 8 sept. 2011
affluent

Vu passer, dans une travée, un chat qui tenait dans sa gueule un oiseau plumé, un pigeonneau, sans doute, dérobé à la boucherie. Nous sommes vraiment entrés dans l’affluent society.

Pierre Bergounioux, « mardi 25 mai 2004 », Carnet de notes (2001-2010), Verdier, p. 485.

David Farreny, 2 fév. 2012
avenir

Ce qui d’ailleurs me manquait surtout était l’aptitude à penser le moins du monde à un avenir concret. Ma réflexion restait attachée aux choses présentes et à leur état présent, non par profondeur d’esprit ou par suite d’un intérêt trop fortement accroché, mais, pour autant que cela ne fût pas dû à la faiblesse de ma réflexion, par tristesse et par peur ; par tristesse, car le présent était si triste à mes yeux que je ne croyais pas avoir le droit de l’abandonner avant qu’il eût pu se résoudre en bonheur ; par peur, car de même que je craignais la moindre démarche dans le présent, de même me tenais-je pour indigne, eu égard à mes manières méprisables et puériles, de juger avec un sentiment grave de ma responsabilité le grand avenir viril qui m’apparaissait du reste impossible la plupart du temps, à tel point que la moindre progression me semblait être un faux, et que le point le plus proche de moi me paraissait inaccessible.

Franz Kafka, « Journaux », Œuvres complètes (3), Gallimard, pp. 209-210.

David Farreny, 28 oct. 2012
mathématiques

J’ai gardé de cette expérience une défiance certainement aussi injuste que ma haine enfantine envers l’Oulipo, comme si les petites mécaniques savantes de ces écrivains ingénieurs et mathématiciens avaient la prétention de mettre la littérature en coupe réglée. Je ne peux admettre cette alliance contre-nature, elle me révulse. Trahison ! C’est remettre les clés de la ville à l’ennemi qui encercle nos murs. C’est appareiller de prothèses métalliques notre corps élastique, c’est canaliser le fleuve sauvage au moyen de logiques conçues pour déterminer la durée de remplissage des baignoires, c’est contraindre la pensée enfin et juguler sa féconde digression.

Il existe pourtant une ivresse des mathématiques, me dit-on, une extase, une beauté pure, absolue, affranchie des contingences. Un nombre d’or ! Certains tableaux noirs couverts de chiffres seraient des tableaux de maître.

C’est possible.

Mais ne me laissez jamais entrer dans ce musée avec une éponge humide !

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 165.

Cécile Carret, 9 mars 2014
anglais

S’exprimer en anglais tout le temps, c’était comme jouer tout le temps dans un film et prononcer des mots appris, qui avaient un sens léger, réduit, passager. […] Même les injures qu’elle lui lançait manquaient de réel et paraissaient trembler, ne jamais atteindre leur cible. Oui, voilà, parler anglais ne la touchait pas et elle ne touchait pas. Parler anglais ne lui promettait que des situations normées.

Alain Sevestre, Poupée, Gallimard, p. 136.

Cécile Carret, 19 mars 2014
devenir

Tiens ? Il y a longtemps que je n’ai pas vu dans le quartier cette très vieille femme incroyablement maigre et boiteuse qui toussait tout le temps. Qu’a-t-elle bien pu devenir ?

Éric Chevillard, « mardi 13 décembre 2016 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 24 fév. 2024

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