vie

Elle lui prononça, dans la bouche, un mot magique et mystérieux qui résonna par tout son être. Il allait le répéter quand, à l’appel de son grand-père, il se réveilla. Il eût volontiers donné sa vie pour se rappeler ce mot.

Novalis, Henri d’Ofterdingen, Flammarion, p. 170.

David Farreny, 24 mars 2002
sentir

Cela fait mal de vivre, mais de loin. Sentir n’a pas d’importance. Deux ou trois devantures s’allument.

Fernando Pessoa, Le livre de l’intranquillité (1), Christian Bourgois, p. 97.

David Farreny, 9 fév. 2003
substance

Nous eûmes bientôt descendu nos bagages, que nous laissâmes au milieu du salon le temps de faire nos adieux à Simone. […] Il l’embrassa, Kontcharski lui tendit une main, puis moi la mienne. Nous la remerciâmes chaudement. Nous la regardâmes, avant de nous détourner vers la porte, avec la sensation d’oublier quelque chose. Elle, peut-être. Elle nous accompagna jusqu’à la voiture, finalement, de sorte que nous refîmes nos adieux, toutes portières ouvertes, et que de nouveau nous la remerciâmes, à l’aide de « Merci encore » qui manquaient un peu de substance. Bientôt, nous fûmes partis.

Christian Oster, Trois hommes seuls, Minuit, p. 77.

Cécile Carret, 14 sept. 2008
extirper

– Mais quelque chose n’allait pas ! Mon visage se contracta : ? : Ah ! là !

Tout doucement – on ne le remarquait qu’au clignotement différent – le gros point brillant tourna dans la serrure de la porte. Tourna : et disparut !

Or je suis toujours long à la détente. En général je suis enfoncé jusqu’à la poitrine dans la jungle des pensées et dois d’abord m’en extirper, me hisser sur la paume des mains – : la clé était partie !

Arno Schmidt, « Échange de clés », Histoires, Tristram, p. 70.

Cécile Carret, 22 nov. 2009
nul

Ce matin, vu affichées les dates des conseils de classe du premier trimestre. Surpris. Le temps de travail ne passe pas vite, quand on est au travail. Du temps nul. Il semble, lorsqu’on se retourne, comme n’avoir pas existé. Cela tient sans doute aussi à l’aspect répétitif scandé du boulot. Que reste-t-il de trois jours consécutifs de correction de copies, après une semaine ? Des jours morts. Le travail use le corps, érode, mais en même temps annule la durée. Elle gélifie, puis devient sèche et granuleuse, finit poussière.

D’où écrivez-vous ? De là. Et souvent je n’ai rien à mettre sous la plume que cette poussière grise.

Antoine Émaz, Lichen, encore, Rehauts, p. 11.

Cécile Carret, 4 mars 2010
figures

M’installe au bureau, dans la nuit profonde, et peine à repartir, après la triste interruption de vendredi. J’essaie de décrire l’espèce d’idole peinte qui tenait la Parfumerie Bleue puis passe aux hommes, à ces commerçants qu’on voyait plantés sur leur pas de porte, comme des figures barométriques, et sous le regard desquels il fallait passer. Ça m’agaçait. Je sentais confusément les atteintes d’un pour-autrui que les étroites, les mesquines cervelles où il se formait rendaient amer, mal assimilable. On devenait, à son corps défendant, un personnage du texte médiocre, tout intérieur, que ces contemplatifs rogues brochaient, du matin au soir, à partir des péripéties, non moins médiocres, répétitives, du spectacle de la rue. Le bonheur, la liberté que j’éprouvais, deux ou trois jours durant, entre la fin juillet et le début août, tenaient à ce qu’ils étaient momentanément absentés, partis en vacances. Le monde était purgé des interprétations dénigrantes ou malignes, des regards urticants qui lui conféraient une partie de sa réalité.

Pierre Bergounioux, « samedi 21 septembre 2002 », Carnet de notes (2001-2010), Verdier, p. 285.

David Farreny, 26 janv. 2012
impasse

Quart de tour à droite vers les fraises.

Quart de tour à gauche vers les tomates.

Et quand l’automne sera revenu pense monsieur Songe qu’est-ce que je vais devenir ? Rabâcher quart de tour à droite et à gauche sans plus arroser ? Me reposer l’affreuse question de l’opportunité de mes exercices et du bien-fondé de mon existence ? Si la chaleur s’en va mon angoisse de l’après-midi en sera moindre mais alors qu’en espérer puisqu’elle n’atteindra plus son paroxysme ? Elle demeurera moyenne et je serai condamné à ne plus noter que du médiocre ?

Et il ajoute pour sortir d’une impasse il faut en prendre une autre.

Robert Pinget, Monsieur Songe, Minuit, p. 58.

Cécile Carret, 7 déc. 2013
mystère

À Linz, la seule discipline où Adolf excelle est l’histoire ; elle est enseignée par un professeur pangermaniste, le Dr Léopold Pötsch, auquel il rendra un hommage ému dans son précis pour des temps barbares plébiscité sous le titre Mein Kampf. Ludwig, lui, obtient de très bons résultats en éducation religieuse : d’une certaine manière, la figure du Christ l’accompagnera jusqu’à sa mort. Un Christ qui, cloué sur sa croix, doute de Dieu, doute de l’humanité, doute de lui-même et en arrive dans son désespoir à la conclusion que dans cette farce absurde que nous sommes amenés à jouer, peu importe que nous ayons été bons ou mauvais, vils ou nobles, bourreaux ou victimes, sauvés ou damnés… Peut-être est-ce cela que voulait signifier Wittgenstein quand il répétait : « On ne peut raisonnablement ressentir de la rage, même contre Hitler, encore moins contre Dieu. » Selon la formule consacrée, on tue un homme, on est un assassin ; on en tue des millions, on est un conquérant ; on les tue tous, on est un dieu. Le principal défaut de Hitler, ce nécrophile méticuleux, fut de ne pas travailler comme le Grand Dépeceur dans l’anonymat le plus absolu : sans mystère, pas de séduction.

Roland Jaccard, « Le fantôme de Weininger », L’enquête de Wittgenstein, P.U.F., pp. 15-16.

David Farreny, 6 déc. 2014
relire

« Je ne lis plus. Je relis. » Cela peut paraître pédant. Mais ça ne l’est pas. Arrivé à un certain âge, nous — du moins en ce qui me concerne — réalisons que nous ne gardons aucun souvenir de ce qu’à une époque nous avons lu. Nous sommes alors saisis d’effroi et nous nous mettons à relire.

Iñaki Uriarte, Bâiller devant Dieu, Séguier, p. 240.

David Farreny, 28 fév. 2024
explication

« L’explication » consiste finalement à assimiler un mystère insolite à un mystère familier.

Nicolás Gómez Dávila, Carnets d'un vaincu. Scolies pour un texte implicite, L'Arche, p. 38.

David Farreny, 4 mars 2024

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