Tu n’as jamais lutté, rappelle-le-toi. Tu ne lutteras jamais.
Cesare Pavese, Le métier de vivre, Gallimard, p. 362.
Freins. De plus en plus de freins. Je mets du temps, beaucoup de temps dans ma stupeur pour remarquer ma stupeur.
Henri Michaux, « L’infini turbulent », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 925.
Ce que j’ai fait de bien pire encore, dans ces années-là, c’est d’appeler fils de pute un camarade de classe dont la mère était notoirement entretenue. Par la suite, et chaque fois qu’il était à proximité, je traitais quiconque se trouvait là de fils de pute, pour le convaincre que ces mots n’avaient dans ma bouche aucune signification. On voit par ce récit ce qu’a de vain toute sincérité.
Renaud Camus, « lundi 28 avril 1980 », Journal d’un voyage en France, Hachette/P.O.L., p. 96.
Si la littérature approche et rencontre parfois la vérité c’est qu’elle est un des chemins détournés du retour à la vie.
Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 33.
Il faut s’envelopper d’une jeune femme comme les envahisseurs mongols de quartiers de bœufs.
Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 74.
Puis vient la question de la technique. Pour l’Angkar, la révolution n’est pas une idée ou une pensée, mais une technique qu’on acquiert par des actes. La révolution n’est pas une aspiration : elle est une pratique codifiée. Le « technicien de la révolution » est aussi un « instrument de la révolution », et la plus haute distinction du régime est : « Instrument pur de la révolution ». Pureté de la technique. Duch se plaint que S21 n’ait jamais obtenu ce titre.
Rithy Panh, L’élimination, Grasset, p. 97.
Les oiseaux braillent si fort, et parmi eux des chieurs, des lâcheurs de fientes, même en plein vol, qu’il les entend à l’intérieur de l’habitacle pourtant toutes glaces levées.
Il baisse la sienne.
Il les entend nettement plus fort.
Vous êtes sûr ? m’écrit un lecteur.
Échange de courrier.
Bon, allez, faut avancer, se dit-il.
Christian Gailly, Les fleurs, Minuit, p. 25.
Visible à travers les grilles, la soldatesque des cyprès, d’un vert sombre tirant sur le noir contre le ciel instantané de cette heure-là, entre cinq et six, qui ressemble si souvent à un éboulis de possibles.
Gilles Ortlieb, Le train des jours, Finitude, p. 95.
Ils évoquent leur enfance comme un temps de plénitude — heureuse ou non —, comme si leur conscience alors jamais ne se dédoublait, qu’ils ne prenaient jamais de distance avec les situations, qu’ils ne se voyaient pas vivre. J’étais ceci, j’étais cela. J’étais fasciné par. Je pouvais rester des heures à. Plus vraisemblablement ont-ils tout oublié et se voient-ils aujourd’hui, de si loin, avec le regard que les adultes portaient sur eux à l’époque. Enfant deux fois incompris.
Éric Chevillard, « vendredi 13 novembre 2015 », L’autofictif. 🔗