aliéné

Je déteste les drogues. Mes hallucinations habituelles sont bien assez monstrueuses, Hadès en soit loué ! Objectivement considéré, je n’ai jamais vu un esprit aliéné plus lucide, plus solitaire et plus équilibré que le mien.

Vladimir Nabokov, Partis pris, Julliard, p. 148.

David Farreny, 13 avr. 2002
bataille

La veille de la bataille, tandis que Napoléon, de son côté, grignotait une poitrine de mouton arrosée d’un demi-verre de Chambertin, je constatai quant à moi que le distributeur automatique de plats chauds installé dans le hall de l’hôtel Formule 1 était en panne, et que pour obtenir le cassoulet sur lequel j’avais jeté mon dévolu, il me faudrait ressortir et marcher jusqu’à la réception de l’hôtel Etap, laquelle disposait en principe d’un appareil du même type. En fin de compte, je ne dînai pas (même si je savais, par la littérature, que c’est à sa capacité de se restaurer normalement, à la veille d’une bataille ou de son exécution capitale, qu’on reconnaît l’homme de caractère).

Jean Rolin, La clôture, P.O.L., p. 105.

Guillaume Colnot, 14 avr. 2002
volume

Il y a le triste édifice où nous étions enfermés, octobre au carreau, le soin prolongé de l’étude et puis, au cœur de la situation, au sein d’un volume imprimé, la porte ouverte sur la forêt des possibles, l’or inépuisable des visions.

Pierre Bergounioux, « La voix du bois », Un peu de bleu dans le paysage, Verdier, p. 65.

Guillaume Colnot, 14 avr. 2002
moindre

L’air cru étourdit. Les blocs sourds de granit proclament, sans phrase, la brièveté fulgurante de nos vies, la vanité de nos vues, la fatalité de l’oubli. Rien n’a changé. Rien ne changera jamais. Nous passons comme des rêves et cette pensée, cet émoi dont on est transi, sont eux-mêmes dénués de la moindre importance.

Pierre Bergounioux, « Millevaches », Un peu de bleu dans le paysage, Verdier, p. 70.

David Farreny, 24 mai 2002
pléonasme

Il y eut dix Aristote : le premier est notre philosophe ; le second gouverna à Athènes, et on lui attribue d’agréables discours judiciaires ; le troisième a écrit sur l’Iliade ; le quatrième est un orateur siciliote qui fit un écrit contre le Panégyrique d’Isocrate ; le cinquième, surnommé Mythos, était un ami d’Eschine, le disciple de Socrate ; le sixième était de Cyrène et fit un art poétique ; le septième était pédotribe, et Aristoxène fait mention de lui dans sa Vie de Platon ; le huitième fut un obscur grammairien qui fit un traité sur le pléonasme.

Diogène Laërce, « Aristote », Vie, doctrines et sentences des philosophes illustres (1), Flammarion, p. 240.

David Farreny, 11 août 2005
règne

Voilà en quoi me semble tenir la différence entre ce siècle et les autres ; autrefois, comme de nos jours, la grandeur était fort rare ; mais alors, c’était la médiocrité qui régnait, tandis qu’aujourd’hui, c’est partout le règne de la nullité.

Giacomo Leopardi, « Dialogue de Tristan et d’un ami », Petites œuvres morales, Allia, p. 239.

David Farreny, 9 nov. 2005
sémantisme

C’est à sa voix qu’il aurait fallu s’en remettre, à ses gestes, à sa seule présence ; et ne tenir que très peu de compte de ses mots, qui eux n’ont pas grand sens, et qui l’étonnent sans cesse quand on les lui rappelle. Il s’étonne surtout qu’on ait pu leur porter assez d’attention pour s’en souvenir. Que ne fait-on comme lui, et n’imite-t-on son détachement parfait à leur égard, sa merveilleuse capacité d’indifférence et d’oubli ? Mais je n’ai pas su m’abandonner à ce sémantisme libéré du verbe et qui flotte dans l’air, s’accrochant un moment, comme une brume, à une intonation, une attitude, un regard. Je n’ai eu ni assez de patience ni assez d’amour. J’ai bêtement exigé des phrases, du bon sens bien français, clairement débité, avec des sujets, des verbes et des compléments à la parade. Or c’est manifestement ce que ce pauvre garçon est le moins capable d’offrir.

Renaud Camus, « dimanche 25 janvier 1998 », Hommage au carré. Journal 1998, Fayard, pp. 35-36.

Élisabeth Mazeron, 30 mars 2010
déclin

Au début, en échange de la citoyenneté, on leur a abandonné les travaux les plus durs, la voirie, le terrassement, les chantiers, les chaînes de production, les ordures et le nettoyage. Comme ils s’en sont accommodés, on leur a par après laissé le soin de faire des enfants, besogne elle aussi trop souvent pénible, bruyante, accaparante et sale. Restèrent les loisirs, les jeux, les fêtes, les plages, mais dont l’attrait finit par se ternir. Et finalement, comme il n’y avait plus rien à faire ni à penser, ni à attendre, plus de but à la vie, sinon un ennui interminable et lourd, on finit par leur déléguer le souci des fins dernières. Alors même que depuis longtemps, on s’était détourné des dieux traditionnels, on s’intéressa à leurs cultes si curieux, à leurs interdits si sévères, à leur jeûne si rigoureux. Arrivé à ce point, bien sûr, il n’y eut, de la civilisation en question, plus rien à sauver, sinon mourir. C’est du moins ce que les historiens nous disent du déclin de Rome.

Jean Clair, « déclin », Journal atrabilaire, Gallimard, p. 133.

David Farreny, 21 mars 2011
affluent

Vu passer, dans une travée, un chat qui tenait dans sa gueule un oiseau plumé, un pigeonneau, sans doute, dérobé à la boucherie. Nous sommes vraiment entrés dans l’affluent society.

Pierre Bergounioux, « mardi 25 mai 2004 », Carnet de notes (2001-2010), Verdier, p. 485.

David Farreny, 2 fév. 2012
chœur

Les heures ne cardaient leur laine et la rivière

                            ne coulait sous les ponts

que pour sonner en moi, au chœur de l’éphémère,

                            les voix et les répons.

Benjamin Fondane, « Au temps du poème », Le mal des fantômes, Verdier, p. 212.

David Farreny, 2 juil. 2013
envol

C’était comme si je n’avais plus besoin de respirer moi-même tant l’intérieur de moi était vivifié, jusqu’aux narines, par l’air de cette course ; la jubilation que les autres extériorisaient par des cris, mais que, moi, je gardais au fond de moi-même en silence, je l’entendais, exprimée non par ma propre voix, mais par les choses du monde extérieur, résonner dans le battement des roues, la cadence des rails, le claquement des aiguillages, les signaux qui ouvraient la voie, les barrières qui la protégeaient, le crépitement de toute la machinerie ferroviaire emportée dans son envol tonitruant.

Peter Handke, Le recommencement, Gallimard, p. 37.

Cécile Carret, 3 août 2013
substance

Les autres vous pompent votre substance puis montent dans des voitures et s’éloignent en faisant de grands signes.

Jean-Pierre Georges, L’éphémère dure toujours, Tarabuste, p. 93.

David Farreny, 13 sept. 2014
oubli

Les gens qu’a connus Chamfort sont pour beaucoup dans l’immortalité de son esprit ; peut-être que les imbéciles qui m’environnent seront la cause de mon oubli.

Henri de Régnier, « Le bonheur des autres ne suffit pas », L’égoïste est celui qui ne pense pas à moi, Flammarion, p. 40.

David Farreny, 10 mars 2016
somme

J’ai vu deux unijambistes aujourd’hui, coïncidence qui n’a pourtant rien de remarquable puisque c’est en somme comme si je n’en avais vu aucun.

Éric Chevillard, « samedi 6 janvier 2018 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 26 fév. 2024

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