Jim

Bien sûr, à proprement parler, un poète, un romancier, n’est pas un personnage public, ni un potentat exotique, ni un amant international, ni une personne qu’on serait fier d’appeler Jim.

Vladimir Nabokov, Partis pris, Julliard, p. 179.

David Farreny, 14 avr. 2002
inquiétude

Il faut que l’inquiétude subsiste.

Henri Michaux, « Face aux verrous », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 507.

David Farreny, 30 juin 2002
pléonasme

Il y eut dix Aristote : le premier est notre philosophe ; le second gouverna à Athènes, et on lui attribue d’agréables discours judiciaires ; le troisième a écrit sur l’Iliade ; le quatrième est un orateur siciliote qui fit un écrit contre le Panégyrique d’Isocrate ; le cinquième, surnommé Mythos, était un ami d’Eschine, le disciple de Socrate ; le sixième était de Cyrène et fit un art poétique ; le septième était pédotribe, et Aristoxène fait mention de lui dans sa Vie de Platon ; le huitième fut un obscur grammairien qui fit un traité sur le pléonasme.

Diogène Laërce, « Aristote », Vie, doctrines et sentences des philosophes illustres (1), Flammarion, p. 240.

David Farreny, 11 août 2005
myrmécologie

Seule distraction : ce chemin de fourmis qui depuis hier relie mon plancher à ma toiture et passe droit devant ma table. Un ruban roussâtre et fluctuant, deux pistes à sens unique. Elles se sont mis en tête de coltiner sur cette verticale le corps d’un petit gecko qui s’était imprudemment avisé de traverser leur route. Tirant du haut, poussant du bas, elles sont des centaines à s’affairer autour du petit animal dont la dépouille se moire d’un velours d’ouvrières. Il est retombé plusieurs fois, leur faisant perdre un terrain durement gagné. Elles ont passé un jour ou deux à la hauteur de ma machine et parfois je m’interrompais pour tarabuster le chantier du bout de mon crayon. Dans le silence menaçant de la sieste où pas une paupière ne bat dans la ville, il me semblait entendre les sifflets des contremaîtres, les jurons des grutiers, le ronflement des treuils. J’espère avoir terminé avant qu’elles ne disparaissent avec leur fardeau dans les retraites de mon plafond. Ce sont de grandes Œcophyles smaragdines qui ne m’avaient encore jamais rendu visite. Merveilleusement carénées, astiquées comme les bottines du maréchal Lyautey, très vaines de leur taille fine. Snobs et talon rouge en diable ; le fin du fin de la myrmécologie équatoriale. Toutes les autres fourmis les haïssent et les attaquent.

Nicolas Bouvier, Le poisson-scorpion, Payot, pp. 144-145.

Élisabeth Mazeron, 23 avr. 2008
assis

Nous gagnâmes tous deux un escalier dont nous dûmes tenir ferme la rampe, retrouvâmes le restaurant où des assis d’un nouveau genre, qui s’étaient attablés afin de dîner bien qu’il ne fût que dix huit-heures, n’avaient pas assez de mains pour tenir leurs couverts et retenir leurs verres, qui valsaient, cependant que les serveurs déplaçaient leurs plateaux par étapes, prenant appui sur les tables libres où les plats, heureusement conçus sans sauce, froidissaient.

Christian Oster, Trois hommes seuls, Minuit, p. 92.

Cécile Carret, 21 sept. 2008
écorner

Quelque chose, chez lui, interdisait peut-être qu’on s’[…]inquiétât sérieusement, ou bien c’était moi qui lâchais, qui décrochais, soudain, et […] je songeais à ces efforts que tous trois nous déployions, finalement, quand nous étions au fond des solitaires, qui s’efforçaient de l’être moins, sans doute, mais qui, se faisant, se contentaient d’écorner quelque contrat passé avec eux-mêmes.

Christian Oster, Trois hommes seuls, Minuit, p. 96.

Cécile Carret, 21 sept. 2008
secousse

J’aimerais, une fois dans ma vie, une secousse paroxysmique.

Jean-Pierre Georges, Car né, La Bartavelle, p. 67.

David Farreny, 5 juil. 2009
rougit

Ce qui fait la dignité des êtres humains, c’est leur capacité à s’élever au-dessus des passions nées de l’égoïsme et à se placer sous l’empire de la loi morale. Il y a un abîme, autrement dit, entre le respect de soi et l’autosatisfaction. L’humanité n’est pas agréable : elle terrasse la présomption, elle humilie les penchants, elle est la part de nous-même qui rougit de nous-même. Or, scande l’époque, il ne faut plus avoir honte : la rougeur n’est pas l’afflux de l’humain, mais un symptôme pathologique.

Alain Finkielkraut, « Sauve qui peut le respect », L’imparfait du présent, Gallimard, p. 252.

Élisabeth Mazeron, 9 janv. 2010
écoulement

La rumeur d’une cataracte enfla brusquement, puis le vacarme hésita et reflua. Il pleuvait en bordure de l’espace noir. Comme l’écoulement du temps n’avait pas encore débuté, l’ondée prit fin dans l’incertitude et, après des chutes de gouttes isolées, le silence se rétablit.

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 208.

Cécile Carret, 3 oct. 2010
gutta-percha

Il y a de la gutta-percha, de la gomme et du caoutchouc dans le kangourou, en fait de muscles et de tendons, et c’est ce K qui les lui injecte par saccades.

Le langage est performatif : le kangourou en est la preuve vivante. Sans doute avons-nous raté d’ailleurs une bonne occasion de rigolade, elles ne sont pas si nombreuses, et il est pour cela bien regrettable que l’idée ne nous soit pas venue de nommer plutôt kangourou l’hippopotame. Comme il eût été divertissant, en effet, de voir ce lourd pachyderme effectuer des bonds de trois mètres de haut et douze mètres de long ! Chose d’autant plus risible qu’il lui eût fallu pour cela s’arracher aux eaux où il s’immerge jusqu’aux narines ou aux berges boueuses où il paresse – que d’éclaboussures et de splach… !

Du burlesque pur.

Mais nous ne savons pas rire. Nous avons donné des noms aux êtres et aux choses de ce monde pour les asservir.

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 131.

Cécile Carret, 25 fév. 2014
plantés

N’est ineffable ou indicible que la chose dont j’ignore le nom. Et même, avec les mots dont je dispose, je peux élaborer la périphrase qui colmatera cette lacune lexicale. Le sentiment, assez commun, de vivre ou d’éprouver des expériences que le langage humain ne saurait décrire relève plutôt, je le crains, d’une exaltation proche de celle qui nous fait appréhender parfois, croyons-nous, l’existence de Dieu ou la présence des morts, une espèce d’illusion mystique qui a pour unique fondement notre incapacité à nous résoudre à n’être que ce que nous sommes, des animaux mortels, certes fines mouches et rusés renards, mais plantés dans nos corps et dans ce monde sans issue.

Éric Chevillard, « mercredi 13 novembre 2013 », L’autofictif. 🔗

Cécile Carret, 13 sept. 2014
double

Röskilde. La cathédrale de briques sans grâce est le Saint-Denis du Danemark, avec ses gisants de pierre attroupés, dont le nom même est depuis longtemps silence (le Danemark, par une singulière fortune, n’a eu qu’un roi et qui n’a pas régné : Hamlet). Tout autour, le silence nordique des rues et des ruelles, fané et sédatif — plus engourdissant que celui de la Hollande — qui est celui des franges du monde habité : malgré la nécropole royale toute proche, on sent que le charroi brutal de l’Histoire n’a jamais éveillé cette calme et végétale bourgade : elle n’écoute que le vent bruissant qui remonte le fjord plat et passe sur les prés d’un vert cru, les cris des oiseaux de mer au-dessus de l’herbe, le carillon austère et luthérien qui tombe d’heure en heure des clochers. Il n’y a rien à chercher, rien à prendre à Röskilde : respirons une seconde le vent acide, hivernal encore en avril, qui souffle du Belt, arrêtons-nous quelques minutes à la pâtisserie, confortable et somnolente, pour manger un gâteau danois à la crème danoise, qui est une crème double, et partons — puisque nous n’avons pas assez de temps pour le seul, simple et profond plaisir que promet la ville et qui aurait été non pas d’y vivre, mais d’y dormir ; d’y dormir une vraie nuit danoise : une nuit double.

Julien Gracq, Lettrines (II), José Corti, pp. 241-242.

David Farreny, 20 oct. 2014
compassion

Suite de ma note d’hier. Il s’agit au fond toujours du principe selon lequel il est bon de penser aux autres et vivre pour eux. Incompréhensible, dit Nietzsche, pour les représentants de la moralité antique (Épictète), luttant toute leur vie contre la compassion et pour eux-mêmes, et qui penseraient sans doute que c’est parce que nous nous trouvons pour nous-mêmes épouvantablement ennuyeux, que nous pensons aux autres plutôt qu’à nous.

Philippe Muray, « 26 août 1986 », Ultima necat (II), Les Belles Lettres, pp. 152-153.

David Farreny, 10 mars 2016
pluriel

Je trouve sur mon répondeur un message m’invitant demain, chez Hallier, à un excitant « déjeuner d’écrivains ». L’horreur complète ! Des écrivains ! Je pourrais fréquenter n’importe quelle communauté passagère, des médecins, des managers, des dentistes, des comédiens. Mais des écrivains ! Est-ce qu’on peut imaginer quelque chose de plus débandant ? De moins désirable ? Hein ? Des écrivains ! Avec un s ! Le seul truc, le seul mot qui devrait être interdit de pluriel !

Philippe Muray, « 20 mars 1989 », Ultima necat (III), Les Belles Lettres, p. 94.

David Farreny, 29 fév. 2024

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