moindre

L’air cru étourdit. Les blocs sourds de granit proclament, sans phrase, la brièveté fulgurante de nos vies, la vanité de nos vues, la fatalité de l’oubli. Rien n’a changé. Rien ne changera jamais. Nous passons comme des rêves et cette pensée, cet émoi dont on est transi, sont eux-mêmes dénués de la moindre importance.

Pierre Bergounioux, « Millevaches », Un peu de bleu dans le paysage, Verdier, p. 70.

David Farreny, 24 mai 2002
plein

Voilà bien la vie calme, placide, de l’Antiquité, sans crainte et sans larmes. Un tombeau ancien : jamais un emblème de pleurs.

Ce sont des amours, des scènes mythologiques sur le sarcophage, n’ayant aucun rapport avec la personne (histoire d’Achille, les Amazones, etc.). La mort était chose si simple, quand elle venait naturellement.

Quand on mourait jeune, alors cela paraissait anormal, et on plaignait. « Il s’endormit plein de jours. »

Ernest Renan, Voyage en Italie, Arléa, p. 37.

David Farreny, 25 déc. 2004
sincérité

Ce que j’ai fait de bien pire encore, dans ces années-là, c’est d’appeler fils de pute un camarade de classe dont la mère était notoirement entretenue. Par la suite, et chaque fois qu’il était à proximité, je traitais quiconque se trouvait là de fils de pute, pour le convaincre que ces mots n’avaient dans ma bouche aucune signification. On voit par ce récit ce qu’a de vain toute sincérité.

Renaud Camus, « lundi 28 avril 1980 », Journal d’un voyage en France, Hachette/P.O.L., p. 96.

David Farreny, 30 juil. 2005
trois

Je vous ai tant aimée car vous m’avez permis

de n’être plus moi-même au fond de vos trois chairs :

la très humide, la soyeuse et parfois l’autre,

imaginaire, où vous prenant et reprenant,

torture et griserie, je prenais les cent femmes

logées dans ma mémoire. Alors vous m’enleviez,

carnivore soudain, au nom de la douleur,

si pure en vous, si noble et douce, mes vertèbres.

J’étais heureux de m’allonger dans votre songe,

plus transparent que le regard, plus désinvolte

qu’une langue en voyage autour de vos seins nus.

Privé d’âme et de corps, je vous laissais le soin

de décider si je serais votre épagneul,

votre miroir brisé, votre peau de rechange.

Alain Bosquet, « Lettre d’amour », Sonnets pour une fin de siècle, Gallimard, p. 97.

David Farreny, 10 janv. 2007
numéro

Appeler qui ? Paul épluche son carnet. Des noms suivis de chiffres s’y empilent comme au flanc d’un monument aux morts, champ infertile hérissé de proches perdus, d’amis d’un soir, d’anciennes amies qui se méprendraient. Reste ce numéro de la jeune femme en gris de l’autre soir, courage. On décroche au loin.

Jean Echenoz, L’équipée malaise, Minuit, p. 64.

Cécile Carret, 11 mars 2007
langage

Mes sentiments dépendent du langage que je choisis.

Renaud Camus, « vendredi 16 avril 1976 », Journal de « Travers » (1), Fayard, p. 115.

David Farreny, 17 août 2007
reflètent

Mardi – Les vitres teintées de l’immeuble de bureaux A reflètent les vitres teintées de l’immeuble de bureaux B. Les employés de l’immeuble A se regardent-ils travailler dans le reflet tendu ? Le métro aérien trouble-t-il les sosies qu’il sépare ? Subtil décalage des passagers inattentifs, bientôt assis et attablés de même.

Anne Savelli, Fenêtres. Open space, Le mot et le reste, p. 13.

Cécile Carret, 21 juil. 2008
tous

Je me souviens aussi de ce slogan : « Seul un enfant qui vient de naître est pur. » Qui donc est pur ? Le nourrisson qui cherche le sein de sa mère ? Le petit garçon au visage flou, à sa droite, qui regarde le photographe ? Ou le jeune homme qui entre dans la salle de banquet ? Ce jeune homme souriant marche vers nous. Son nom de guerre est Duch. Nous étions tous impurs et nous l’avons payé.

Rithy Panh, L’élimination, Grasset, p. 89.

Cécile Carret, 7 fév. 2012
réponse

La réponse n’est pas hors du texte ou dans le texte. Elle est le texte.

Georges Perros, Papiers collés (3), Gallimard, p. 95.

David Farreny, 24 mars 2012
journal

À tout journal il faut une voiture-balai, comme au Tour de France ; ou, pour le dire plus élégamment, le genre est nécessairement placé sous l’instance du pentimento, du remords, de la correction, de la rature, du retour sur entrées antérieures. On commence un journal pour corriger quelque chose — la réalité, par exemple, l’histoire, l’actualité, soi-même, son futur, la mort.

Renaud Camus, « dimanche 21 juillet 2013 », Non. Journal 2013, Chez l’auteur.

Guillaume Colnot, 9 déc. 2013

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