dominant

Le discours dominant, au moment où il domine, perçoit toujours comme dominant le discours qui a dominé avant lui — ce qui lui permet, alors qu’il règne absolument, de s’exprimer en plus avec une constante amertume revendicatrice.

Renaud Camus, « mardi 14 décembre 1993 », Graal-Plieux. Journal 1993, P.O.L., p. 195.

David Farreny, 8 août 2002
Occident

Mais — la rareté du ciel lorsqu’il blanchit, les rues identiques les unes aux autres, le dimanche soir en Occident…

François Rosset, Froideur, Michalon, p. 163.

David Farreny, 15 nov. 2002
comprendre

Comment viennent les mots ?

Comprendre est aussi une sensation

perdue

perdue

Henri Michaux, « Connaissance par les gouffres », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 53.

David Farreny, 21 oct. 2005
défasse

Il y a d’autres choses auxquelles il faut prendre garde : les fruits meurtris visités par les mouches, certains morceaux de gras que, d’instinct – quitte à vexer – on laisse dans son assiette, des poignées de main après lesquelles – à cause du trachome – on évite de se frotter les yeux. Des avertissements, mais pas de lois : rien qu’une musique du corps, perdue depuis longtemps, qu’on retrouve petit à petit et à laquelle il faut s’accorder. Se rappeler aussi que la nourriture locale contient ses propres antidotes – thé, ail, yaourt, oignons – et que la santé est un équilibre dynamique fait d’une suite d’infections plus ou moins tolérées. Quand elles ne le sont pas, on paie un radis douteux ou une gorgée d’eau polluée par des journées de coliques-cyclone qui nous précipitent, sueur au front, vers les cabinets à la turque où bientôt on se résigne à s’installer tout à fait, malgré les poings qui martèlent la porte, si brefs sont les répits que la dysenterie vous accorde.

Lorsque je me retrouve ainsi diminué, alors la ville m’attaque. C’est très soudain ; il suffit d’un ciel bas et d’un peu de pluie pour que les rues se transforment en bourbiers, le crépuscule en suie et que Prilep, tout à l’heure si belle, se défasse comme du mauvais papier. Tout ce qu’elle peut avoir d’informe, de nauséabond, de perfide apparaît avec une acuité de cauchemar : le flanc blessé des ânes, les yeux fiévreux et les vestons rapiécés, les mâchoires cariées et ces voix aigres et prudentes modelées par cinq siècles d’occupation et de complots. Jusqu’aux tripes mauves de la boucherie qui ont l’air d’appeler au secours comme si la viande pouvait mourir deux fois.

Tout d’abord, c’est logique, je me défends par la haine. En esprit je passe la rue à l’acide, au cautère. Puis j’essaie d’opposer l’ordre au désordre. Retranché dans ma chambre, je balaie le plancher, me lave à m’écorcher, expédie laconiquement le courrier en souffrance et reprends mon travail en m’efforçant d’en expulser la rhétorique, les replâtrages, les trucs : tout un modeste rituel dont on ne mesure probablement pas l’ancienneté, mais on fait avec ce qu’on a.

Lorsqu’on reprend le dessus c’est pour voir par la fenêtre, dans le soleil du soir, les maisons blanches qui fument encore de l’averse, l’échine des montagnes étendue dans un ciel lavé et l’armée des plants de tabac qui entoure la ville de fortes feuilles rassurantes. On se retrouve dans un monde solide, au cœur d’une grande icône argentée. La ville s’est reprise. On a dû rêver. Pendant dix jours on va l’aimer ; jusqu’au prochain accès. C’est ainsi qu’elle vous vaccine.

Nicolas Bouvier, L’usage du monde, Payot & Rivages, p. 78.

Cécile Carret, 8 sept. 2007
con

(Seules les 2 à gauche de l’entrée ont des nappes, celles où on a installé les rupins surveillés de près, avec les coupes de glace tenues par de fines spirales de doigts, sur lesquelles surnagent des nœuds de cravate en zeste de citron : LUI affichant cette componction et cette très-digne fadeur si inestimable dans les emplois de la fonction publique (en fait si con que s’il devait travailler en indépendant, il n’arriverait même pas à vendre des glaces en enfer !) ; ELLE du genre à vous planter, à peine arrivée au camping, des petites fleurs jaunes devant la tente, avec l’obligatoire pomme de pin posée à côté.)

Arno Schmidt, « Tambour chez le tsar », Histoires, Tristram, p. 151.

Cécile Carret, 2 déc. 2009
acolytes

Le double et triple hiver limougeaud — celui du dehors, celui de l’étude et des longs corridors, celui de l’espérance — m’a livré un enseignement majeur. Le présent avait un nom et les cinq continents et les îles. Le premier mot me manquait pour qualifier la seule réalité que j’aie, sinon à proprement parler connue, du moins endurée en personne. Mais il se tenait sans doute quelque part, avec ses maigres, ses noirs acolytes, et il valait la peine, si donc il se pouvait, de mettre la main dessus.

Pierre Bergounioux, Le premier mot, Gallimard, p. 45.

Élisabeth Mazeron, 10 mai 2010
visé

À peine se familiarisait-on avec le décor que l’Europe a dressé, voilà un siècle, que l’acte est achevé. La production de fer a été délocalisée, laissée aux pays lointains, retardataires, à bas salaires. Les puissantes cathédrales de brique et de fonte où il était forgé, coulé, laminé, ont été désertées. À la différence des mystiques édifices restés du Moyen Âge, elles ne braveront pas l’éternité. Elles n’y ont jamais visé.

Pierre Bergounioux, « La seconde Genèse », Les restes du monde, Fata Morgana, pp. 12-13.

David Farreny, 13 mai 2010
postérité

L’écrivain œuvre pour la postérité. En effet, plus il aura écrit de livres, plus il laissera de cendres.

Éric Chevillard, « mardi 17 septembre 2019 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 17 mars 2024

mot(s) :

auteur :

rechercher 🔍fermer