Je n’ai pas de nom. Je m’appelle Personne.
Les riches ont l’or,
mes maigres mains creusent le rio.
Mes maigres mains creusent un sillon de mort.
J’ai enterré tant d’enfants que ma mémoire
est une encre sauvage.
Je n’ai plus de mains. Je n’ai plus d’âge.
J’ai la sagesse des grands arbres brisés par les Américains.
Je suis un Peau-Rouge. Jamais je ne marcherai
dans une file indienne.
J’ai très mal au cœur, au sexe, aux entrailles.
Je prie. Je suis Sioux.
Je prie. Je crois à la revanche.
Je suis celui qu’on ne peut pas tuer au cœur de la bataille.
André Laude, « Je m’appelle Personne », poèmes posthumes publiés par la revue « Points de fuite », 1995.
Pour tromper son vide, battre son plein.
Jean-Pierre Georges, Le moi chronique, Les Carnets du Dessert de Lune, p. 65.
Il traduit aussi le Monde, celui qui voulait s’en échapper. Qui pourrait échapper ? Le vase est clos.
Henri Michaux, « Ailleurs », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 3.
L’histoire est un long chemin broussailleux qui mène jusqu’à nous. L’homme des droits de l’homme se regarde, émerveillé, comme l’aboutissement de l’homme. Et il le fait savoir. Fier, à s’en tambouriner la poitrine, d’avoir vaincu le principe hiérarchique, imbu de sa ferveur antidiscriminatoire, ivre de sa tolérance aux différences, il instruit le procès pour intolérance de toutes les formes de vie et de pensée qui diffèrent des siennes. Sûr que rien d’humain ne lui est étranger, et qu’il est seul dans ce cas, il devient étranger à tout ce qui est humain.
Alain Finkielkraut, « Un présent qui se préfère », L’imparfait du présent, Gallimard, pp. 121-122.
En route, en route, nous chevauchions à travers la nuit. Elle était sombre, sans lune ni étoiles, plus sombre encore que ne le sont habituellement les nuits sans lune ni étoiles. Nous avions une mission importante, le chef portait sur lui des ordres dans une enveloppe scellée. Inquiets à l’idée que nous pourrions le perdre, l’un de nous allait de temps à autre devant pour le toucher et s’assurer qu’il était toujours là. Une fois, juste comme j’allais voir moi-même, le chef n’y était plus. Nous ne fûmes pas trop effrayés, c’est bien ce que nous avions craint tout le temps. Nous décidâmes de rebrousser chemin.
Franz Kafka, « En route, en route… », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 568.
Inévitablement, on ne suit que celles qui s’éloignent.
Petr Král, Cahiers de Paris, Flammarion, p. 201.
À part un joli jardin, tout est inférieur à nos rêves.
Nicolás Gómez Dávila, Nouvelles scolies à un texte implicite (2), p. 163.