difficulté

La difficulté de commettre le suicide réside en ceci : c’est un acte d’ambition que l’on ne peut commettre que lorsqu’on a dépassé toute ambition.

Cesare Pavese, Le métier de vivre, Gallimard, p. 102.

David Farreny, 24 mai 2003
garde

Si l’on n’y prend garde, on n’aura pas été de son temps. On sera resté en-deçà de soi-même, étranger à sa possibilité présente. On aura vécu au passé.

Pierre Bergounioux, Le fleuve des âges, Fata Morgana, p. 9.

David Farreny, 24 nov. 2005
indétermination

La philosophie se meut dans un air raréfié, un peu trop loin du sol exigu, détaillé de nos existences. L’histoire parcourt à trop longues enjambées les plaines de la durée. Nos gestes, nos affections, nos pensées, trop insignifiants, fugaces, se diluent. D’ailleurs, c’est des morts qu’elle parle et nous respirons encore. Il s’agissait de trouver une voie médiane entre les mots approximatifs de chaque jour et l’explication générale, abstraite, où se perdent la couleur et le goût des instants, la temporalité courte, chargée d’affects, scandée d’événements petits, mais pour nous très grands, décisifs, qui sont la vie même. La littérature, dans son indétermination essentielle, semblait être le chemin. Je l’ai emprunté.

Pierre Bergounioux, Écrire, pourquoi ?, Argol, p. 16.

David Farreny, 2 juil. 2006
essuient

Quand les Hollandais essuient un coup de vent en haute mer, ils se retirent dans l’intérieur du navire, ferment les écoutilles et boivent du punch, laissant un chien sur le pont pour aboyer à la tempête ; le danger passé, on renvoie Fidèle à sa niche au fond de la cale, et le capitaine revient jouir du beau temps sur le gaillard. J’ai été le chien hollandais du vaisseau de la légitimité.

François-René, vicomte de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe (1), Le livre de poche, p. 245.

Guillaume Colnot, 17 mai 2007
historique

La neige sur les toits millier de pages

une bande d’étourneaux les notes de Satie

une à une dans l’hiver comme un pincement

les années qui s’ébattent s’emboutissent

déferlement d’inclassables saisons. Cette

promenade toujours refusée par l’Amour menu !

Le coteau n’était-il pas de neige lui aussi

cela devient historique mais vivrais-je cent ans

que rien de plus ne sortirait de ce petit

cadavre. Enfin Jeanne souvenez-vous, Chinon ?

Jean-Pierre Georges, Dizains disette, Le Dé bleu, p. 76.

David Farreny, 18 juin 2008
faintly

My Hand delights to trace unusual Things,

And deviates from the known, and common way ;

Nor will in fading Silks compose

Faintly th’ inimitable Rose.

[Ma main s’enchante à suivre des choses singulières,

À s’écarter des voies connues et coutumières,

Et ne veut, en des soieries fanées, former,

Imprécise, l’inimitable rose.]

Anne Finch, comtesse de Winchilsea, « The spleen », Miscellany poems, on several occasions, John Barber, p. 92.

David Farreny, 27 sept. 2008
État

Rien à faire : la rixe intérieure fait trop de bruit. L’un des camps croit-il avoir pris le dessus, il célèbre en fanfare sa très courte victoire, et vous voici soumis à des agitations bien plus sévères encore, par les applaudissements qu’il se donne, et par les résolutions politiques d’urgence qu’elle lui dicte ; lesquelles, à peine vous y êtes-vous rangé de plus ou moins bon gré, sont annulées par un non moins illusoire succès de l’adverse camarilla. Le mieux serait sans doute de se taire, et d’attendre. Mais vous ne savez vous y résoudre. Il vous faut bien maintenir coûte que coûte, dans ce chaos, la fiction de votre autorité, si dérisoire qu’elle semble à tous. Oh ! Vous avez coupé, par force, les liens avec le monde, l’étranger, les éventuels alliés et les ennemis de toujours. Il ne manquerait plus qu’une extension du conflit hors de vos étroites frontières, avec protecteurs plus ou moins désintéressés, pour chacune des brigues locales ! Plus de relations extérieures, du moins de votre fait. Mais vous voulez, tout de même, continuer d’administrer votre petit État, tout ravagé qu’il est par les tirs de mortier continuels du souvenir et de l’espoir, de la vindicte et de la rage ; ou du moins faire semblant. Et c’est de votre part une avalanche de textes, de proclamations, de décrets, qui n’obéissent à d’autre exigence que de noircir les affichettes officielles, sur les grilles du palais en ruine et sous les arcades de votre naine capitale : car cette encre jamais ne se mélange à la suite des jours, ces phrases sont sans liens avec la réalité des événements et des choses, ces paroles du crieur public sont déjà perdues à son premier roulement de tambour ; en rien ne se commettent-elles avec l’air ni le cri, l’événement ni la pluie, la chambre, les visages, les façades, le pas.

Renaud Camus, Le lac de Caresse, P.O.L., pp. 52-53.

Élisabeth Mazeron, 7 fév. 2009
étincelle

Que des bonnes questions, aucune réponse. Il faudrait que je m’astreigne à des mois — des années ! — de diète de lecture, que je trouve la force de me soustraire à la stérile intelligence des livres… pour que jaillissant de moi ou du ciel, de la terre ou du sang, ou même de nulle part, une étincelle annihile à jamais toute question et toute réponse.

Jean-Pierre Georges, L’éphémère dure toujours, Tarabuste, p. 58.

David Farreny, 27 juin 2010
sinon

À quoi servent les journées ?

À être le séjour de notre vie.

Elles viennent, elles nous réveillent

Tant et tant de fois.

Il faudra que du bonheur s’y loge.

Où vivre, sinon dans les journées ?

Philip Larkin, « Journées », Où vivre, sinon ?, La Différence, p. 85.

David Farreny, 12 fév. 2011
ordres

En route, en route, nous chevauchions à travers la nuit. Elle était sombre, sans lune ni étoiles, plus sombre encore que ne le sont habituellement les nuits sans lune ni étoiles. Nous avions une mission importante, le chef portait sur lui des ordres dans une enveloppe scellée. Inquiets à l’idée que nous pourrions le perdre, l’un de nous allait de temps à autre devant pour le toucher et s’assurer qu’il était toujours là. Une fois, juste comme j’allais voir moi-même, le chef n’y était plus. Nous ne fûmes pas trop effrayés, c’est bien ce que nous avions craint tout le temps. Nous décidâmes de rebrousser chemin.

Franz Kafka, « En route, en route… », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 568.

David Farreny, 17 déc. 2011
histoire

Chemin faisant, l’Histoire, avec ses grands et ses petits récits, ses simples bulles de sens et son grand vent, m’a rattrapé, prenant une importance que je n’avais pas prévue tout d’abord. Mais ce qui est venu ainsi à ma rencontre, ce n’est ni l’histoire des manuels ni celle des guides, c’est ce qu’il faudrait appeler une histoire des traces, dont le présent serait l’affleurement. Le présent, en effet, pour peu qu’on le considère avec un peu d’insistance, finit presque toujours par apparaître comme l’espace infini et pourtant sans épaisseur où remontent lentement, comme par le fait d’une résurgence invisible, les traces parfois très lointaines de sa formation. Tandis qu’inversement commencent à descendre et s’enfoncer en lui, puis au-delà de lui, les signaux par lesquels lui parvient ce qui le dissout et le renouvelle. Se tenir aux aguets de ce double mouvement, dans l’étendue d’un paysage qui tantôt l’apaise et tantôt l’accélère, c’est ce que j’aurai essayé de faire, en cherchant à fixer au passage ce que l’on devrait pouvoir appeler l’instantané mobile d’un pays.

Jean-Christophe Bailly, Le dépaysement. Voyages en France, Seuil, p. 14.

Cécile Carret, 15 déc. 2012
courir

Dans les rues, cette manie de courir, importée d’Amérique. Pour rester en forme, prétend-on. Mais il n’y a que les enfants qui courent naturellement. Ou les voleurs que l’on poursuit. Un adulte qui court, court après son enfance, ou, pire encore, se sent poursuivi par elle.

Jean Clair, Lait noir de l’aube, Gallimard, p. 97.

Guillaume Colnot, 25 sept. 2013
cursus

Son suicide signe la fin de cursus de l’autodidacte.

Éric Chevillard, « vendredi 24 juin 2016 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 24 juin 2016
lâche

Nul ne serait donc suffisamment lâche pour ne jamais mourir ?

Éric Chevillard, « samedi 30 mars 2024 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 13 avr. 2024

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