D’abord il l’épie à travers les branches.
De loin il la humine, en saligoron, en nalais.
Elle : une blonde rêveuse un peu vatte.
Ça le soursouille, ça le salave,
Ça le prend partout, en bas, en haut, en han, en hahan.
Il pâtemine. Il n’en peut plus.
Donc, il s’approche en subcul,
l’arrape et, par violence et par terreur la renverse
sur les feuilles sales et froides de la forêt silencieuse.
Il la déjupe ; puis à l’aise il la troulache,
la ziliche, la bourbouse et l’arronvesse,
(lui gridote sa trilite, la dilèche).
Ivre d’immonde, fou de son corps doux,
il s’y envanule et majalecte.
Ahanant éperdu à gouille et à gnouille
— gonilles et vogonilles —
il la ranoule et l’embonchonne,
l’assalive, la bouzète, l’embrumanne et la goliphatte.
Enfin ! triomphant, il l’engangre !
Immense cuve d’un instant !
Forêt, femme, terre, ciel animal des grands fonds !
Il bourbiote béatement.
Elle se redresse hagarde. Sale rêve et pis qu’un rêve !
« Mais plus de peur, voyons, il est parti maintenant le vagabond…
et léger comme une plume, Madame. »
Henri Michaux, « Rencontre dans la forêt », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 416.
Quand la nuit fait rage. Fixe la plus proche, la plus scintillante — celle dont tu ignores le nom, parce que tu ignores beaucoup — enfonce de plus en plus fort ta vie dans un canapé à proximité d’une étoile.
Jean-Pierre Georges, Car né, La Bartavelle, p. 72.
Veuillez ne pas régler mon visage
Le défaut est en moi
Ma bouche est une forêt après l’incendie
Mon cœur un petit squelette de poisson
Elles sont belles ces cicatrices
C’est mon visage
La mort est le récit de la mort
La tête qui tombe de la guillotine pense
« Ce n’est qu’un instant »
L’animal blessé fuit et la mort court à ses côtés
Ensuite c’est la monotonie intense
Tel un disque rayé
rayé
rayé
Le poisson rouge, à l’abri de deux fléaux majeurs : l’ennui et la rage de l’expression.
Jean-Pierre Georges, L’éphémère dure toujours, Tarabuste, p. 100.
Nos articulations sont autant de mauvais plis pris par le corps qui lui interdisent mille postures avantageuses, mille gestes décisifs. Je prétendais y remédier.
Éric Chevillard, Le vaillant petit tailleur, Minuit, p. 28.
Les gens passaient leur temps à faire des préparatifs pour le lendemain. Moi je n’ai jamais cru à ça. Le lendemain ne faisait pas de préparatifs pour eux. Le lendemain ne savait même pas qu’ils existaient.
Cormac McCarthy, La route, L’Olivier, p. 248.
À l’aube, des disputailleries de corvidés sur une grue voisine, nettement audibles dans le demi-sommeil. À ces cris qui semblaient parfois excédés d’en être réduits à l’inarticulé, sont venus se superposer des lambeaux de rêves qui, pour tâcher de leur donner un sens, proposaient d’y voir quelque chose comme la naissance d’un langage — voire du langage lui-même. Le réveil a remis les choses en place en démontant brutalement l’ingénieux petit échafaudage mental. « Les spirites ne travaillent pas au soleil » (P. Valéry).
Gilles Ortlieb, « Vraquier », « Théodore Balmoral » n° 68, printemps-été 2012, p. 98.
AGATHE – Mais y en a plein qui sont jamais nés !
MOI – Qui ? Quoi… ?
AGATHE – Des gens.
Éric Chevillard, « mercredi 19 mars », L’autofictif. 🔗
C’est le seul moyen de fuir la société tout en faisant bonne impression, aussi je ne la laisse à personne : la vaisselle.
Éric Chevillard, « mercredi 2 mars 2016 », L’autofictif. 🔗
Pour être lu, un livre se rompt – mais les deux moitiés sont pour toi.
Éric Chevillard, « jeudi 19 mai 2016 », L’autofictif. 🔗
Nos proches devraient prendre soin de mourir à un moment où nous ne traversons pas une période d’atonie. Sans quoi, quel effort pour s’intéresser à leur mésaventure !
Emil Cioran, « Écartèlement », Œuvres, Gallimard, p. 944.