pleine

Une phrase pleine… Qui me donnerait une phrase pleine ? Mais ce serait me tuer.

Renaud Camus, « lundi 3 janvier 1994 », La campagne de France. Journal 1994, Fayard, p. 13.

David Farreny, 22 mars 2002
objets

Adomnan raconte que saint Columba d’Iona, qui s’appelle encore Columbkill, Columbkill le Loup, de la tribu des O’Neill du Nord par son aïeul Niall des Neuf Otages, est dans sa jeunesse un homme brutal. Il aime avec violence Dieu, la guerre, et les petits objets fastueux. Il a grandi dans un berceau d’airain, c’est un homme d’épée. Il sert sous Diarmait, et sous Dieu : Diarmait roi de Tara, qui peut compter sur son épée pour des razzias en mer d’Irlande, des maraudes de bœufs, des festins crapuleux qui tournent au massacre ; et Dieu, roi de ce monde et de l’autre, qui peut compter sur son épée pour convaincre les sectateurs du moine Pélage, qui nient la Grâce, que la Grâce foudroyante pèse son poids de fer.

Pierre Michon, « Tristesse de Columbkill », Mythologies d’hiver, Verdier, p. 21.

David Farreny, 2 juin 2002
autour

Enfin, tout ce temps qu’on roule, beauté du monde orange des villes dans la nuit mal défaite, la masse si pesante de toutes choses de ciment autour de ceux qui y vivent, et dont le train indique la trace sans qu’eux-mêmes se montrent (une fenêtre ouverte sur une pièce vide).

François Bon, Paysage fer, Verdier, p. 80.

David Farreny, 24 janv. 2003
frégolisme

C’est que le frégolisme du plastique est total : il peut former aussi bien des seaux que des bijoux.

Roland Barthes, « Mythologies », Œuvres complètes (1), Seuil, p. 805.

David Farreny, 5 déc. 2004
ménage

Combien souvent en ces heures interminables, quoique courtes en fait, de l’expérience du terrible décentrage, combien souvent n’a-t-il pas songé à ses frères, frères sans le savoir, frères de plus personne, dont le pareil désordre en plus enfoncé, plus sans espoir et tendant à l’irréversible, va durer des jours et des mois qui rejoignent des siècles, battus de contradictions, de tapes psychiques inconnues et des brisements d’un infini absurde dont ils ne peuvent rien tirer.

Il sait maintenant, en ayant été la proie et l’observateur, qu’il existe un fonctionnement mental autre, tout différent de l’habituel, mais fonctionnement tout de même. Il voit que la folie est un équilibre, une prodigieuse, prodigieusement difficile tentative pour s’allier à un état disloquant, désespérant, continuellement désastreux, avec lequel il faut, il faut bien que l’aliéné fasse ménage, affreux et innommable ménage.

Henri Michaux, « Connaissance par les gouffres », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 96.

David Farreny, 21 oct. 2005
intrus

On a les heures du matin et celles de l’après-midi pour aller à sa guise sous le ciel tout proche, d’un bleu cru, acide. On est lavé par la lumière qui pleut des détails importuns, des tristesses tenaces et des menus tracas qu’on apporte de la vie d’en bas, des creux habités, comme les brindilles et les pailles, les bardanes qui restent aux vêtements des courses dans la campagne. Le monde est vaste, le couchant glorieux, la paix infinie et, soudain, quelque chose, quelqu’un est là, qui retient son souffle. On circulait librement parmi les vivants étais des arbres qui supportent le dôme du ciel, dans les chambres tendues de brocart qui sentent la résine. On s’est dit, comme Augustin, au soir de la fête étrange, dans le domaine mystérieux, qu’on était attendu, que cette demeure était la nôtre et l’on n’est plus, maintenant, qu’un intrus.

Pierre Bergounioux, Le chevron, Verdier, p. 52.

Élisabeth Mazeron, 3 mars 2008
résonance

Claudette, qui travaillait au laboratoire où elle avait table, crayon et papier, entreprend de réécrire Le malade imaginaire, de mémoire. Le premier acte achevé, les répétitions commencent.

J’écris cela comme si ça avait été aussi simple. On a beau avoir une pièce bien en tête, en voir et en entendre les personnages, c’est une tâche difficile à qui relève du typhus, est constamment habité par la faim. Celles qui pouvaient aidaient. Une réplique était souvent la victoire d’une journée. […] L’émulation jouait aussi, et la fierté. Il s’agissait de montrer aux Polonaises, avec qui nous étions, et qui chantaient si bien, de quoi nous étions capables.

Chaque soir, battant la semelle et battant des bras – c’était en décembre – nous répétions. Dans l’obscurité, une intonation juste prenait une étrange résonance.

Charlotte Delbo, Auschwitz et après (2), Minuit, p. 91.

Cécile Carret, 27 août 2009
mémoire

– J’arrive ! hurla-t-il.

C’étaient ces voix exigeantes, toujours les mêmes, dont les sonorités lui perçaient la mémoire jusqu’aux couches les plus primitives, jusqu’à la strate première de sa naissance et même avant, jusqu’à la période du dortoir, quand ses grands-mères manipulaient sa forme embryonnaire et feulaient au-dessus de lui pour lui transmettre leur vision du monde.

Il écarta le rideau, il sortit. Il se tint sur le seuil pendant cinq minutes, massif comme un yack.

— J’écoutais un quatuor de Baldakchan, dit-il.

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 178.

Cécile Carret, 3 oct. 2010
frappe

Plus je lis de ces livres intéressants mais pas déterminants, plus me hante cette nécessité d’une frappe verbale exacte. Gifle ou caresse, mais précise, exactement mesurée, impeccablement juste.

Antoine Émaz, Cuisine, publie.net, p. 262.

Cécile Carret, 2 fév. 2012
imperméables

Ils étaient liés par cette morne parenté des pauvres, pour qui les liens de sang ne signifient que fort peu : n’ayant pas de souvenirs agréables en commun, ils se contentent de vivre côte à côte, sans cesser de travailler, repliés sur soi, imperméables, à des années-lumière les uns des autres.

Dezsö Kosztolányi, Anna la douce, Viviane Hamy, p. 91.

Cécile Carret, 4 août 2012
horloges

Pour moi, le bruit du Temps n’est pas triste : j’aime les cloches, les horloges, les montres — et je me rappelle qu’à l’origine, le matériel photographique relevait des techniques de l’ébénisterie et de la mécanique de précision : les appareils, au fond, étaient des horloges à voir, et peut-être en moi, quelqu’un de très ancien entend encore dans l’appareil photographique le bruit vivant du bois.

Roland Barthes, La chambre claire. Note sur la photographie, Gallimard/Le Seuil, pp. 32-33.

David Farreny, 14 juin 2015
marcher

Traverser un jardin, ce n’est pas marcher.

Baldomero Fernández Moreno, « Air aphoristique », Le papillon et la poutre.

David Farreny, 7 juil. 2015
manche

Plutôt le râteau que le fiasco – au moins a-t-il un manche.

Éric Chevillard, « lundi 21 août 2017 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 23 fév. 2024

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