mais

Dégoût de ce qui est fait, de l’opera omnia. Sensation d’être en mauvaise santé, de déchéance physique. Courbe déclinante. Et la vie, les amours, où sont-ils ? Je conserve un certain optimisme : je n’accuse pas la vie, je trouve que le monde est beau et digne. Mais je tombe.

Cesare Pavese, Le métier de vivre, Gallimard, p. 451.

David Farreny, 24 mai 2003
mécanique

J’ajoute que cette passion ne s’appliquait pas à la haute montagne ; celle-ci m’avait déçu par le caractère ambigu des joies pourtant indiscutables qu’elle apporte : intensément physique et même organique, quand on considère l’effort à accomplir ; mais cependant formel et presque abstrait dans la mesure où l’attention captivée par des tâches trop savantes se laisse, en pleine nature, enfermer dans des préoccupations qui relèvent de la mécanique et de la géométrie. J’aimais cette montagne dite « à vaches » ; et surtout, la zone comprise entre 1400 et 2200 mètres : trop moyenne encore pour appauvrir le paysage ainsi qu’elle fait plus haut, l’altitude y semble provoquer la nature à une vie plus heurtée et plus ardente, en même temps qu’elle décourage les cultures.

Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques, Plon, p. 405.

David Farreny, 29 nov. 2003
Création

Nous sommes plongés dans l’aventure de la Création, exploit des plus redoutables, sans « fins morales », et peut-être sans signification ; et quoique l’idée et l’initiative en reviennent à Dieu, nous ne saurions lui en vouloir, tant est grand à nos yeux son prestige de premier coupable. En faisant de nous ses complices, il nous associa à cet immense mouvement de solidarité dans le mal, qui soutient et affermit la confusion universelle.

Emil Cioran, Essai sur la pensée réactionnaire, Fata Morgana, p. 28.

Guillaume Colnot, 11 juin 2004
las

Quand on se connaît bien, si on ne se méprise pas totalement, c’est parce qu’on est trop las pour se livrer à des sentiments extrêmes.

Emil Cioran, De l’inconvénient d’être né, Gallimard, p. 193.

David Farreny, 18 oct. 2006
rejoindre

Tout effort de l’âne pour happer la carotte a pour effet de faire avancer l’attelage tout entier et la carotte elle-même qui demeure toujours à la même distance de l’âne. Ainsi courons-nous après un possible que notre course même fait apparaître, qui n’est rien que notre course et qui se définit par là même comme hors d’atteinte. Nous courons vers nous-mêmes et nous sommes, de ce fait, l’être qui ne peut pas se rejoindre.

Jean-Paul Sartre, « Qualité et quantité, potentialité, ustensilité », L’être et le néant, Gallimard, p. 244.

David Farreny, 20 oct. 2008
sublimé

D’ailleurs, si l’on était rendu instantanément à soi en vérité, qu’il faille éprouver tout d’un coup la douleur que c’est, on n’y survivrait pas. On serait désintégré, sublimé.

Pierre Bergounioux, L’orphelin, Gallimard, p. 100.

Élisabeth Mazeron, 16 juin 2010
automne

Le sentier venait de sortir à ciel ouvert et de retrouver le bord du lac, la lumière grise de la surface. Dans l’eau, les pentes de la montagne s’emboîtaient dans leur propre reflet comme dans un jeu de construction merveilleux qui faisait hésiter sur le niveau réel de la surface. Le ciel, d’un gris très clair, semblait collé au fond comme une lentille. Tout en bas de ce retournement vertigineux, on voyait l’antenne de la station de transmission qui permettait aux habitants de l’Altefrau de bénéficier de la télévision et qui arrosait les vallées et les zones montagneuses.

Il y avait un silence énorme, une humidité froide. Des nuages fins comme une gaze salie recouvraient les sommets. On sentait à l’œuvre cette immobilité du temps propre à l’automne, ce pourrissement propre à l’automne, les plantes s’exténuant doucement sous la roche.

Dominique Barbéris, Beau Rivage, Gallimard, p. 70.

David Farreny, 16 août 2010
récit

C’est une attention douce que tu as de m’envoyer chaque matin le récit de la journée de la veille. Quelque uniforme que soit ta vie, tu as au moins quelque chose à m’en dire. Mais la mienne est un lac, une mare stagnante, que rien ne remue et où rien n’apparaît. Chaque jour ressemble à la veille ; je puis dire ce que je ferai dans un mois, dans un an, et je regarde cela non seulement comme sage, mais comme heureux. Aussi n’ai-je presque jamais rien à te conter. Je ne reçois aucune visite, je n’ai à Rouen aucun ami ; rien du dehors ne pénètre jusqu’à moi. Il n’y a pas d’ours blanc sur son glaçon du pôle qui vive dans un plus profond oubli de la terre. Ma nature m’y porte démesurément, et en second lieu, pour arriver là, j’y ai mis de l’art. Je me suis creusé mon trou et j’y reste, ayant soin qu’il y fasse toujours la même température.

Gustave Flaubert, « lettre à Louise Colet (26 août 1846) », Correspondance (1), Gallimard.

David Farreny, 1er mars 2013
amour

L’homme dont je rêve sera celui qui aime en moi la femme qui ne dépend plus de lui. – Et qu’aimerez-vous en lui ? – Cette sorte-là d’amour.

Peter Handke, La femme gauchère, Gallimard, p. 66.

Cécile Carret, 26 juin 2013
compassion

Suite de ma note d’hier. Il s’agit au fond toujours du principe selon lequel il est bon de penser aux autres et vivre pour eux. Incompréhensible, dit Nietzsche, pour les représentants de la moralité antique (Épictète), luttant toute leur vie contre la compassion et pour eux-mêmes, et qui penseraient sans doute que c’est parce que nous nous trouvons pour nous-mêmes épouvantablement ennuyeux, que nous pensons aux autres plutôt qu’à nous.

Philippe Muray, « 26 août 1986 », Ultima necat (II), Les Belles Lettres, pp. 152-153.

David Farreny, 10 mars 2016

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